Manifestants : bas les masques !

Christine Tréguier  • 4 février 2010 abonné·es

S’il y a une tradition dans les manifestations, c’est bien celle qui consiste à porter des masques caricaturant les têtes de Turc du moment. Chirac, Mitterrand, Pasqua, ministres en désamour, tous y ont eu droit. Mais la tradition est en train d’en prendre un coup, et les manifestants sont désormais priés de sortir découverts.

À Nice, lors de la manifestation des fonctionnaires du 21 janvier, deux professeurs des écoles l’ont appris à leurs dépens. Ces deux syndicalistes avaient enfilé pour l’occasion des masques en latex à l’effigie de Sarkozy, et arboraient des pancartes « Casse-toi pauv’con ». Mal leur en a pris. Les forces de l’ordre les ont coincés en fin de cortège et, après un contrôle d’identité, leur ont signifié qu’ils allaient être embarqués pour « offense au chef de l’État ». Plusieurs élus communistes – Pierre Bernasconi, Gérard Piel, Jacques Victor – et quelques syndicalistes ont rebroussé chemin et tenté de s’interposer. Mais les policiers, qui avaient visiblement reçu des consignes, n’étaient pas là pour discuter. La négociation a tourné à la mêlée, comme le montre une vidéo mise en ligne. On y voit une vingtaine de CRS bousculant les manifestants et jetant violemment à terre un homme en train de filmer. « Ce matin, la manif était tranquille et joyeuse, a déclaré Gérard Piel à Nice-Matin. Je ne comprends pas cette attitude. Nous sommes des élus, on a l’habitude de discuter avec les policiers. Ils savaient très bien que les profs et les infirmières ne venaient pas pour tout casser. Et si à Nice, ville du carnaval, on ne peut plus porter de masque… »

Les deux enseignants ont été relâchés quelques heures plus tard, échappant au délit d’offense ou à celui de dissimulation illicite du visage. Une chance, car Christian Estrosi ne plaisante pas sur ce sujet. Le maire de Nice, ami zélé du Président, est l’auteur d’une proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. Hasard du calendrier, ce texte passait en seconde lecture à l’Assemblée quelques jours plus tard. Son article 3 instaure une circonstance aggravante nouvelle lorsque certaines violences sont commises par des personnes dissimulant volontairement leur visage afin d’éviter d’être identifiées. Il vient compléter un décret publié en juin 2009 créant une contravention de 1 500 euros pour « dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique ». Officiellement, le texte vise les cagoules et capuches. Mais les forces de l’ordre peuvent s’y référer pour éjecter des cortèges porteurs de masques, de nez rouges, de foulards ou de bandanas. Faudra-t-il aussi à l’avenir que les manifestants s’abstiennent de porter des lunettes noires, des perruques, de vraies ou fausses barbes et des moustaches, ou des chapeaux un peu trop couvrants, afin que les caméras de surveillance judicieusement placées sur le trajet des manifs puissent leur tirer le portrait ? Et pourquoi pas des sas d’identification biométriques et un contrôle des papiers avant d’entrer dans la manif ?

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