Quelques minutes pour sauver une vie

Alors qu’Éric Besson prépare un projet de loi destiné à durcir encore l’entrée et le séjour des étrangers, nous avons suivi Me Aurélia Pierre, défenseur des personnes retenues, à la cour d’appel de Paris. Reportage.

Caroline Fleuriot  • 25 février 2010 abonné·es
Quelques minutes pour sauver une vie
© Photo : C. Fleuriot

«On a pas de temps à ­perdre. Nous avons neuf clients à défendre aujourd’hui. Pour l’instant je suis seule, mais une consœur va arriver vers 12 h 30. » À 8 h 30, ce lundi, une course contre la montre commence pour Aurélia Pierre, avocate au barreau de Paris. Pas besoin de café, l’adrénaline est constante. Régulièrement, elle assure, en tant qu’avocate commise d’office, une permanence juridique [^2] pour défendre des sans-papiers placés en centre de rétention administrative (CRA) [^3] devant le juge des libertés et de la détention (JLD). En un temps record, elle doit prendre connaissance de leurs dossiers et plaider dans la foulée. Son objectif : leur liberté. Aujourd’hui, il s’agit d’affaires à défendre devant la déléguée du premier président de la cour d’appel. Le JLD s’était prononcé pour la prolongation de la rétention de ces personnes. Elles ont fait appel.
Pour ce type de contentieux, tout se fait dans l’urgence. Un des clients d’Aurélia Pierre a même déjà été renvoyé dans son pays d’origine. Le recours contre l’ordonnance du JLD n’étant pas suspensif, il est possible pour un étranger de voir sa mesure d’éloignement exécutée avant l’audience devant la cour d’appel.

Aurélia Pierre est installée dans un minuscule box en verre. Elle fouille les procédures une par une, recherche des jurisprudences, rédige ses conclusions. Car devant le JLD et ici en appel, c’est uniquement des questions de procédure dont il est question. Jamais de la situation personnelle de l’étranger ou des risques quant à sa sécurité en cas de retour [^4]. L’avocate vérifie, par exemple, si l’interpellation est régulière, si les droits de la personne retenue ont bien été respectés, si les démarches de l’administration pour organiser son retour ont été assez rapides. L’étranger ne peut en effet être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à l’organisation de son départ. Dans deux dossiers, l’avocate remarque un défaut de « diligence » : « Regardez, ici l’administration a attendu six jours pour saisir les autorités consulaires égyptiennes afin de leur demander la délivrance d’un laissez-passer. »
Chaque minute est précieuse. « Alors que l’on ne prend en général connaissance de l’ensemble des dossiers que trente minutes à une heure avant l’audience, le greffier peut commencer à nous mettre la pression pour que l’on commence à plaider. Il est même arrivé qu’un magistrat me demande de passer à la vitesse supérieure alors que je plaidais… » Du box en verre, on voit arriver au compte-gouttes les étrangers dans la salle d’attente attenante. Une dizaine de gendarmes campent dans le hall qui sépare cette pièce de la salle d’audience et de la sortie. La porte transparente du box menant à la salle d’attente est entrouverte… « Tu viens d’où ? » , demande un homme à un autre. Un dialogue s’instaure. Des femmes d’origine asiatique viennent d’arriver. Les portables n’arrêtent pas de sonner. « Ils sont ­désormais autorisés dans les CRA » , précise Aurélia Pierre.

Il est 9 h 55, l’avocate accueille son premier client dans le box, M. Amara [^5]. Originaire d’Algérie, il habite depuis neuf ans en France. « Un de mes enfants est souffrant, j’aimerais pouvoir être à ses côtés », soupire-t-il. Aurélia Pierre résume la situation : « Votre interpellation a été irrégulière ; cela a déjà été soulevé en première instance, mais nous allons réargumenter cet aspect. » Quelques minutes plus tard, elle reçoit M. Fofana, d’origine malienne. Il affirme avoir été amené la veille à l’aéroport. « Mais, finalement, on m’a dit que faute de laissez-passer le vol avait été annulé. Il faut qu’ils arrêtent cette torture morale… » Dans ce dossier, l’avocate remarque un défaut de diligence de la part de l’administration.

Au fur et à mesure, Aurélia Pierre transmet les dossiers à la greffière. À 11 h, elle donne son troisième dossier, puis s’attaque à celui de son client qui a déjà quitté la France. Dans le hall devant la salle d’audience, les gendarmes surveillent les lieux en discutant. Des interprètes bavardent. Un jeune homme sort le nez de la salle d’attente. « Je peux aller dehors fumer une cigarette ? » Un gendarme accepte, le menotte et l’accompagne. Plus tôt, une autre personne avait essuyé un refus pour la même demande.
Ce n’est qu’à 12 h 10 qu’Aurélia Pierre enfile sa robe noire pour défendre son premier client. Aujourd’hui, d’autres affaires ont été jugées avant ses dossiers. « J’ai eu du temps pour les préparer, c’est plus confortable », témoigne-t-elle. Dans la salle d’audience, les barreaux aux fenêtres rappellent que se jouent là des vies d’hommes et de femmes. Si le juge entend les arguments de leur avocate, M. Fofana et M. Amara recouvreront leur liberté. La magistrate arrive accompagnée de la greffière.

Tout va très vite. Avec pugnacité et conviction, Aurélia Pierre défend ses clients les uns après les autres. Vers 13 h 10, la magistrate se prononce sur le dossier de M. Amara : ­l’ordonnance du JLD est infirmée pour nullité de l’interpellation. M. Amara est libre. Il remercie son avocate en lui glissant, très ému : « Ce soir, je pourrai dormir avec mes enfants. » D’autres affaires sont jugées. Puis l’audience s’interrompt pour reprendre vers 14 h 20.

Dans l’après-midi, c’est M. Fofana qui retrouve sa liberté. La magistrate pointe un défaut de diligence de la part de l’administration. Au final, sur les quatre dossiers défendus par Aurélia Pierre, trois personnes sont libérées. La seule ordonnance du JLD confirmée est celle qui concerne l’homme ayant déjà quitté la France. À 16 h, l’avocate sort de la cour d’appel, fatiguée mais satisfaite. Sa consœur a pris le relais. Pour les quelques étrangers libérés aujourd’hui, le parcours du combattant continue. Car, toujours en situation irrégulière, ils resteront libres… jusqu’à la prochaine interpellation.

[^2]: L’Ordre des avocats de Paris met en place ces permanences gratuites. Elles sont assurées sur la base du volontariat. , 01 80 27 19 20.

[^3]: La décision de placement est prise par le préfet. La rétention dure 32 jours au maximum.

[^4]: Ces arguments peuvent être mis en avant devant le juge administratif en cas de recours contre une obligation de quitter le territoire français. La personne peut aussi déposer une demande d’asile.

[^5]: Les noms ont été modifiés.

Temps de lecture : 6 minutes