« Augmenter le budget européen »

Le projet d’un Fonds monétaire européen pour répondre à la crise en Grèce suscite nombre
de questions sur l’état des institutions de l’Union. L’économiste Dominique Plihon* analyse cette proposition.

Thierry Brun  • 18 mars 2010 abonné·es

**Politis : La crise en Grèce est l’occasion pour la chancelière allemande Angela Merkel d’avancer l’idée d’un Fonds monétaire européen (FME) pour venir en aide à des pays de la zone euro en difficulté. Qu’en pensez-vous ?
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Dominique Plihon : Une règle prévaut dans la zone euro : chacun des pays membres doit être ­responsable de ses finances publiques et ne peut être aidé. La proposition allemande est interprétée comme un moyen de contourner cette règle. La création d’un FME est politiquement habile : c’est d’abord un moyen d’éviter l’intervention du Fonds monétaire international (FMI), à laquelle les Allemands sont opposés. Le FME est un contre-feu, avec l’idée qu’il fonctionnerait selon les mêmes règles de conditionnalité que le FMI. Cela permettrait aux pays riches de l’Union européenne de contrôler les pays en difficulté, de leur imposer des contraintes fortes, alors que le pacte de stabilité et de croissance, créé pour obliger les pays à réguler leurs finances publiques, n’a pas de clause contraignante. Cette proposition est une mauvaise solution car elle évite de répondre aux vraies questions posées aujourd’hui à l’UE.

L’idée d’un FME ne pose-t-elle pas la question des responsabilités concernant la crise en Grèce ?

La Grèce a une part de responsabilité : elle a maquillé ses comptes et mal géré ses finances publiques. Mais l’autre grand responsable de la crise européenne, c’est l’Allemagne. Depuis le gouvernement Schröder, elle mène une politique de déflation salariale et de dumping social en Europe, donc une politique non coopérative qui déstabilise les autres pays. Cette politique, très dure sur le plan salarial, lui a donné un avantage de compétitivité-coût énorme. L’Allemagne a pratiqué la TVA sociale, qui est un moyen de déduire du coût des exportations les charges sociales des entreprises, et ces mesures lui ont donné un avantage compétitif très important. Ce qui a stimulé ses exportations et sa croissance au détriment de ses partenaires, dont la France. Cette politique unilatérale a mis en difficulté des pays européens qui étaient en phase de rattrapage, notamment des pays du sud de l’Europe, comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal.

Cela ne révèle-t-il pas aussi une crise des institutions ?

Avec le FME, on évite les réformes qui s’imposeraient pour donner à l’Europe un gouvernement économique que tout le monde souhaite désormais. Cela veut dire que les gouvernements se dotent d’instruments macro­économiques communs pour gérer les économies européennes, et notamment leurs déséquilibres, leur croissance, leur évolution de l’emploi, leur inflation, etc. Or, l’union monétaire est depuis le début bancale, on l’a dit au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen. Elle a un gouvernement monétaire et n’a pas de gouvernement économique. On découvre aujourd’hui, comme par enchantement, qu’il faut un gouvernement économique.

Qu’entendez-vous par gouvernement économique ?

Cela veut dire se doter d’instruments qui soient essentiellement des politiques budgétaires et fiscales à l’échelle européenne. Il faut un vrai budget européen, car il est aujourd’hui inférieur à 1 % du PIB européen. Une augmentation de ce budget est nécessaire, avec des impôts européens. Il faut aussi que l’Europe puisse s’endetter, avec notamment le contrôle du Parlement européen.

Cela ne remet-il pas en question le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) ?

Cela contrebalancerait en effet le pouvoir excessif de la BCE et de la politique monétaire. Ce monétarisme est impuissant face à la crise, notamment parce qu’il ne dispose que d’un seul instrument, le taux d’intérêt, puisque l’Europe a renoncé au taux de change et à la politique budgétaire comme instruments de politique économique. On s’est ainsi privé de leviers importants de régulation économique. Il est temps de les retrouver avec des moyens budgétaires et fiscaux européens. Certes, cela porte atteinte à la domination de la BCE, et c’est ce qu’il faut ! Mais les Allemands n’en veulent pas, et la France joue aussi ce jeu. Les gouvernements français successifs, Jospin, Chirac, Sarkozy, n’ont pas voulu d’un budget européen important.

Pourquoi est-il essentiel d’en avoir un ?

Il doit jouer un double rôle de redistribution et de stabilisation conjoncturelles. Les politiques de redistribution permettent à des pays, des régions ou des populations en situation de rattrapage d’accéder, par exemple, à un fonds européen fonctionnant selon le principe de solidarité. On a aussi grand besoin de politiques de stabilisation conjoncturelles. En phase de récession, comme c’est le cas aujourd’hui, il s’agit d’avoir des dépenses publiques qui iraient en priorité vers les pays les plus touchés. Inversement, en phase de croissance rapide, il s’agirait d’avoir des versements des pays qui se portent le mieux. Le FME ne permettrait en aucun cas de résoudre ces problèmes à moyen et à long terme.

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