« Dépasser la forme parti »

Comme au lendemain du premier tour des élections, nous avons demandé à François Delapierre (9984) (Parti de gauche) et à Patrick Farbiaz** (Verts) d’analyser les résultats des régionales et de tracer quelques pistes pour l’avenir.

Denis Sieffert  • 25 mars 2010 abonné·es

Politis : Quel bilan général tirez-vous des élections régionales ?

Patrick Farbiaz : Un sentiment ambigu. Si la claque sans appel reçue par la droite ne peut que nous réjouir, la victoire de la gauche et des écologistes doit être relativisée par la désespérance des milieux populaires. La crise globale, la gouvernance de Sarkozy, le démantèlement du modèale social, le débat xénophobe sur l’identité nationale se traduisent non par un vote d’adhésion à une alternative, mais par une série de refus : abstention massive et structurelle, recours au vote Front national (FN), refuge dans le vote utile socialiste. La réintroduction du FN comme force politique majeure est d’autant plus dangereuse que sa nouvelle dirigeante peut être tentée à terme par une coalition « à l’autrichienne » avec l’UMP. D’un autre côté, la confirmation de l’émergence d’Europe Écologie (EE) comme force politique incontournable, le renforcement, même limité, du Front de gauche et la fragilisation des partis qui misent sur leur isolationnisme (MoDem et NPA) et leur extériorité au rassemblement majoritaire de la gauche et des écologistes sont autant de bonnes nouvelles. Le rééquilibrage de la gauche est en train de se produire.

Quelles conséquences aura ce scrutin sur le paysage politique ?

La nécessité pour les trois pôles de rassemblement de la gauche, la social-démocratie, le Front de gauche et Europe Écologie, de construire un rassemblement tenant compte des identités et des aspirations de chacune de ses composantes. La négociation qui a eu lieu dans l’entre-deux tours ne peut se réduire à un simple marchandage mais a exprimé le nouveau rapport de forces entre le Parti socialiste et des mouvements décidés à ne plus être des supplétifs ou à jouer les sous-traitants. Cela a été confirmé dans le Limousin comme en Bretagne, où le Front de gauche et Europe Écologie, refusant l’hégémonisme du Parti socialiste, sont sortis renforcés de l’épreuve de force imposée par des barons régionaux du PS.

C’était la deuxième fois que les Verts se présentaient sous l’étiquette Europe Écologie. Souhaitez-vous la pérennité de ce rassemblement, et selon quelles modalités ?

La pérennité du rassemblement d’EE est une nécessité. Les Verts, sa principale composante, doivent prendre la décision historique de s’autodépasser dans les mois qui viennent. Nous devons répondre à un triple défi : celui du type d’organisation à construire, du projet et du programme, et de l’orientation stratégique pour les élections de 2012.
Le premier ne peut pas se traduire par un « NPE » à l’image du NPA, qui déboucherait sur la dissolution des Verts réimportant leur logiciel organisationnel et ses défauts dans le nouveau mouvement. Nous devons débattre avec tous les signataires d’Europe Écologie, dont les Verts, d’un mouvement à caractère fédératif intégrant des strates politiques et générationnelles aux parcours différents. Ce n’est pas évident, et le danger d’un repli sur soi des Verts ou d’une implosion sera présent durant ce processus. Mais nous sommes contraints par notre électorat à le faire, et cette pression est une bonne chose. Elle nous oblige à rester unis si nous ne voulons pas dilapider le capital acquis lors des échéances européennes et régionales. La tension entre les différentes composantes d’Europe Écologie permet un vrai dialogue et ne se résume pas à des batailles d’ego. Les questions posées par Cohn-Bendit dans son Appel du 22 mars sont justes [^2]. Dépasser la forme parti est nécessaire pour passer d’une monoculture électorale à une polyculture où le mouvement joue à la fois un rôle d’éducation populaire, de formation des cadres, de réflexion, d’innovation sociale et de campagnes militantes. Un tel mouvement doit être un espace de débat avec la société civile.
La condition de sa réussite passe par la définition d’un projet écologiste fort qui marque sa différence avec le libéralisme, le productivisme, qui repose sur la conquête des biens communs, la relocalisation de l’économie, la mise en cause du modèle de développement capitaliste de production et de consommation, bref un programme qui soit le contraire d’un « néocentrisme chamallow » et qui acte la convergence entre l’écologie politique et l’altermondialisme.

Le vrai danger, c’est la séquence de la présidentielle et des législatives. Comment éviter la marginalisation par la présentation d’une candidature de témoignage ? Comment s’assurer d’un groupe parlementaire au prochain Parlement pour peser sur le débat public ? Comment ne pas disparaître de la scène politique en 2012 en laissant la voie à d’autres acteurs qui occuperaient l’espace politique représenté par EE ? L’équation n’est pas simple. Les primaires de la gauche coorganisées par plusieurs forces ne doivent pas être une solution taboue ni une potion magique pour le courant écologiste, qui doit chercher à transformer l’essai du 7 juin et du 14 mars. Le calendrier est simple : nous devons être en ordre de marche en 2011.

[^2]: Libération du 22 mars.

Publié dans le dossier
Le sarkozysme en crise
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