Entretien avec Francis Parny

Francis Parny,
vice-président
de l’Île-de-France,
(ici avec Jack Ralite
en octobre 2009),
en campagne sur les listes du Front de gauche, développe
son projet culturel
pour la région.

Christophe Kantcheff  • 11 mars 2010 abonné·es
Entretien avec  Francis Parny
© DR

Alors que la culture ne relève pas des compétences obligatoires des régions, plusieurs d’entre elles en ont fait un enjeu important de leur politique. C’est le cas de la région Île-de-France, dirigée depuis douze ans par Jean-Paul Huchon (PS), plus particulièrement depuis la dernière mandature, l’action de Francis Parny (PCF) en tant que vice-président à la culture ayant été très remarquée. Aujourd’hui candidat aux régionales sur les listes Front de gauche, avec l’espoir d’être reconduit au même poste, il mène campagne, comme ce jeudi 4 mars, avec à ses côtés Pierre Laurent, tête de liste, lors d’une réunion publique au Ciné 104, à Pantin (Seine-Saint-Denis), une de ces salles de cinéma indépendantes, garantes d’une diversité d’offre de films, soutenues par la région, et dont l’équipement en numérique est un des prochains défis.

Pour l’art et la culture, le contexte est particulièrement inquiétant. Aux coupes dans les budgets de l’État, au dépeçage du ministère dû à la révision générale des politiques publiques, s’ajoute la menace de la suppression de la compétence générale dont disposent les régions, qui leur permet notamment de mener de véritables politiques culturelles. Un contexte qui, paradoxalement, les pousse à s’affirmer toujours plus comme un contre-pouvoir en matière de culture. C’est en tout cas l’idée que défend Francis Parny, porteur d’une politique culturelle « de haut niveau » , avec deux mesures phares : le doublement de son budget et un renforcement du cadre public de l’action régionale.

Devant une assemblée composée d’acteurs culturels (directeurs de compagnie théâtrale ou d’art de la rue, animateurs de galerie, responsables d’une fédération de salles de cinéma de recherche…) qui apprécient sa démarche fondée sur l’échange, Francis Parny a résumé ses propositions, dont il a souligné qu’elles sont issues d’une élaboration en commun et ont vocation, elles-mêmes, à favoriser les prises de décisions concertées. Il a aussi insisté sur l’ « urgence » de promouvoir des œuvres qui « résistent à la volonté de formatage et de marchandisation », avec la création d’un fonds d’innovation culturelle. Se tenant là aux antipodes du programme de Valérie Pécresse (UMP), où l’on peut lire cette proposition toute sarkozyste : « Tenir compte de l’intérêt du public (nombre de visionnages, appréciations…) pour allouer mille bourses régionales à de jeunes artistes. »

Politis : Quel bilan tirez-vous de votre dernière mandature ?

Francis Parny : Nous avons essayé de développer une approche globale de la culture, que nous voulons aujourd’hui prolonger et amplifier. Il faut aider la création. Actuellement, trop de politiques publiques sont tournées vers la diffusion, voire la communication. Mais cette aide est indissociable du partage de cette création par le plus grand nombre possible. Un exemple : les conventions de « permanence artistique » que nous avons passées avec les compagnies ou les théâtres – 250 conventions qui représentent 12 millions et demi d’euros – ont permis plus de spectacles et plus de diffusion, un travail avec des ateliers amateurs, dans des lycées, des hôpitaux et des prisons. Une étude au bout des quatre années de fonctionnement a attesté d’une augmentation de 104 % des heures de travail rémunérées déclarées. L’emploi artistique est donc soutenu, mais comme une conséquence de l’aide à la création. Nous refusons ces logiques mortifères où l’argent est englouti par les frais fixes, ceux-ci ne laissant qu’une petite marge à la création.
Autre secteur : nous avons créé une politique du livre, qui n’existait pas. Nous y avons englobé toute la chaîne du livre. À titre d’exemple, les résidences d’auteurs se déroulent dans des lieux très divers, avec une bourse de 2 000 euros par mois pour l’auteur, tandis qu’un budget est aussi alloué au lieu qui l’accueille, sur la base d’un projet artistique, jugé par un comité artistique, qui permet d’établir la relation entre l’auteur et les lieux où il travaille.

Comment financer une politique culturelle ambitieuse ?

Je ne suis pas dans une logique d’augmentation d’impôts. Il y a des économies à faire sur les compétences obligatoires, qui représentent trois quarts des budgets. J’estime, par exemple, qu’on peut dépenser moins sur le volet apprentissage. Aujourd’hui, on est à 100 000 apprentis. Passer à 200 000, comme le propose Valérie Pécresse, ou même à 150 000, comme le préconise Jean-Paul Huchon, n’a aucun sens, sinon celui d’affecter le système public d’enseignement. Et quand mon collègue Julien Dray aide à construire des commissariats alors que l’État ne met pas de policiers dedans, à quoi cela sert-il ?

Pourquoi insistez-vous sur le cadre public de l’action régionale pour la culture ?

Cela rejoint une problématique plus large. Pourquoi, en France, le peuple de gauche élit-il des régions, des départements et des communes à gauche, mais pas un président de la République de gauche ? Il y a sans doute la responsabilité de ceux qui sont candidats, de leurs programmes, etc. Mais un autre élément est à prendre en compte : quand la gauche gère des collectivités territoriales, applique-t-elle une politique spécifique ou donne-t-elle le sentiment à nos concitoyens, grosso modo, d’obéir aux mêmes logiques libérales, d’externalisation du service public ? Voilà pourquoi j’ai mis en avant dans nos propositions le cadre public dans lequel agir. Je ne dis pas seulement doublement du budget, mais aussi création d’une véritable direction des affaires culturelles.

Vous voulez aider les œuvres non conventionnelles, non formatées. Est-ce compatible avec la promotion d’une culture populaire de qualité ?

On nous demande souvent – Nicolas Sarkozy, mais aussi des élus, y compris de gauche – de satisfaire la demande. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cette demande, sinon le résultat des goûts dominants ? C’est-à-dire, par exemple, de ce qu’on nous diffuse à la télévision. C’est un scandale que M. de Carolis dise : « J’ai redonné ses ­lettres de noblesse au théâtre à la télévision » , alors qu’il programme des pièces de boulevard de seconde zone, même si Pierre Arditi en est une des vedettes ! Dans ce cas, je l’accuse, Arditi, qui est un homme de qualité, de contribuer à la dévalorisation du spectacle vivant à la télévision. La demande, cela se travaille. Elle se modifie si on permet à l’ensemble des gens à qui est destinée la création de la partager. La première discrimination qu’il faut combattre n’est pas financière, c’est l’intériorisation que les lieux culturels ne sont pas pour tous.
Par ailleurs, pourquoi des cultures et des pratiques artistiques dominantes dans certaines parties du monde sont-elles ici maltraitées ? Le hip-hop, par exemple. Il faut contribuer à faire accéder à l’excellence ceux qui le pratiquent. Mais le hip-hop a été récupéré par les marchands, ou maltraité par les institutions de la République. D’ailleurs, il est rangé parmi les « cultures urbaines ». Ce terme est discriminant en soi. Ce sont des cultures du monde !

Vous récusez la logique de rentabilité. Mais partout règne l’évaluation quantitative, y compris dans la culture…

Je suis en faveur de l’évaluation des politiques publiques. Mais celles-ci doivent être évaluées à partir des critères qui ont servi à leur mise en place, pas à partir de critères extérieurs de l’entreprise industrielle ou commerciale. Ceux qui pensent uniquement en ces termes quantitatifs commettent une grave erreur.

Culture
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