L’école est obligatoire, non ?

La carence d’enseignants est telle en Seine-Saint-Denis que des parents d’élèves attaquent le ministère en justice au nom du droit aux cours.

Ingrid Merckx  • 25 mars 2010 abonné·es

«Ouyapacours ». C’est le site Internet mis en place par la FCPE pour que les parents d’élèves puissent saisir les absences non remplacées d’enseignants. Une « liste de carence » « parce qu’il n’est pas acceptable que tant de cours ne soient pas assurés » . 20 000 parents se sont manifestés. 1 738 jours d’absences ont été ainsi répertoriés en maternelle et en élémentaire en Seine-Saint-Denis (93) entre le 1er septembre et le 30 novembre 2009, et 559 heures dans le second degré. « Et il y en a probablement bien davantage, alerte Michel Hervieu, président FCPE en Seine-Saint-Denis, car ce logiciel ne recense que les absences signalées ! » Les problèmes ont empiré depuis la rentrée 2009 avec les suppressions de postes, notamment dans le premier degré. Jusqu’à présent, pour répondre au manque de remplaçants, le ministère allait repêcher des recalés au concours d’entrée à l’IUFM. Un système bancal – les étudiants se retrouvaient devant des classes avant d’être formés – mais pratique. Avec la suppression des IUFM, cette solution saute. « La situation n’est plus ­tenable, estime Michel Hervieu. Le ministère renvoie la responsabilité sur les familles alors qu’il est de son devoir de remplacer les enseignants. Verrait-on autant d’absences à la SNCF ? » Les parents se fâchent : ils attaquent en justice. Avec l’aide du Groupement d’avocats pour la FCPE 93, qui a mis en place un « kit de la contestation », une trentaine d’entre eux ont entamé une procédure qui pourrait entraîner Luc Chatel au tribunal.

« Les recours sont individuels mais l’objectif est collectif, précise Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE. L’idée, c’est d’étendre à tous les départements. » Le 1er mars, la FCPE a adressé une lettre au ministre lui demandant de reconnaître les absences et la nécessité de les remplacer en rappelant que l’obligation de continuité du service public d’éducation était le pendant de l’obligation scolaire. « Les élèves perdent des cours auxquels ils ont droit. Les parents sont légitimes à les réclamer » , souligne Jean-Jacques Hazan.

Les parents savent que la procédure peut être longue, et la somme réclamée, 1 euro par jour d’absence, est symbolique. « Mais nous n’avons plus le choix, admet Michel Hervieu. Conseils d’établissement, rectorats, académies : l’administration ne veut rien savoir. » « Nous exigeons la transparence sur les non-remplacements par académie, par niveau et par discipline, souligne Jean-Jacques Hazan. Les remplaçants servent de variable d’ajustement aux suppressions de postes et à la carte scolaire. La solution n’est pas technique, elle est budgétaire, en tout cas dans le premier degré ! »

Le 9 mars, Luc Chatel a annulé le délai minimum de 14 jours d’absence avant remplacement dans le second degré. Une première victoire. « Mais les bricolages proposés avec des retraités et des étudiants n’ont aucun sens, surtout quand on appauvrit les formations et qu’on décide de ne pas remplacer 50 % des départs à la retraite », s’énerve Jean-Jacques Hazan. « Nous sommes face à une carence de service public, commente Patrick Roulette, un des avocats des parents. L’Éducation nationale est mise en cause comme pourrait l’être n’importe quelle administration. » Il existe un précédent : en 1988, un père d’élèves a gagné contre le ministère pour « défaut de cours ». Mais une contestation groupée, cela ne s’est jamais vu. Le ministre a encore quelques semaines pour réagir. Sinon, il en prend pour des années.

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