Logique syndicale contre logique écolo

Le conflit autour de la raffinerie Total de Dunkerque est emblématique du combat actuel contre les licenciements, mais aussi d’un hiatus entre la question sociale et les enjeux environnementaux.

Thierry Brun  • 11 mars 2010 abonné·es
Logique syndicale contre logique écolo
© AFP/DESMAZES

Le conflit de la raffinerie Total à Dunkerque, menacée de fermeture, laissera sans doute les traces d’une nouvelle fracture entre écologistes et syndicalistes. Soutenu par une grève dans l’ensemble des raffineries du groupe, le mouvement des salariés de Dunkerque a suscité un débat sur le sort de l’activité pétrolière de Total. Les trois principaux syndicats du site (SUD, CGT, FO) ont lancé début mars un « appel national à comité de soutien » qui n’a pas reçu, au niveau national, le soutien des organisations écologistes. Seuls un élu Europe Écologie de la région Nord-Pas-de-Calais et une militante locale des Verts figurent parmi les premiers signataires de l’appel.

Depuis le début de ce mouvement, les organisations syndicales, écologistes et du mouvement social ont exprimé leurs divergences. « Il est gênant d’entendre certains [salariés] e xiger la poursuite de l’activité d’une raffinerie vouée à une disparition certaine et même souhaitable sur le plan environnemental ; de même qu’il semble difficile de reprocher à Total de vouloir s’adapter à un marché en mutation et par essence (sic) ultramondialisé, à moins de souhaiter, en tant que salarié, l’échec commercial de son entreprise, ou bien de refuser ensuite, par cohérence, d’en partager les bénéfices et les avantages » , a réagi Gwenael Wasse, chargé de la campagne responsabilité sociale et environnementale des entreprises pour Les Amis de la Terre [^2].
De son côté, l’association altermondialiste Attac a attendu le 8 mars pour publier un communiqué sur un mouvement qui a débuté… le 12 janvier. Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, a certes signé l’appel national, mais non sans regrets : « Il y a eu débat, on estime qu’à court terme il faut soutenir les salariés de Total et ­sauver ces emplois. Il reste cependant beaucoup de travail à faire avec les syndicats et les écologistes car, à plus long terme, la reconversion du raffinage doit être posée. »

Quatre écologistes ont aussi expliqué le dilemme auquel ils sont confrontés. « Comment manifester aux côtés des salariés de la raffinerie Total de Dunkerque, alors que les listes Europe Écologie en région ­portent haut et fort la volonté de diminuer la consommation d’énergie fossile et donc le nombre de raffineries ? » , s’interrogent ­Jean-François Caron, Sandrine Rousseau et Patrick Tille, candidats Europe Écologie dans le Nord-Pas-de-Calais, qui ont signé une tribune avec l’eurodéputé Pascal Canfin [^3]. Les candidats veulent convaincre que « la fermeture annoncée de la raffinerie est l’exact contraire de ce que nous portons et de ce pourquoi nous entendons nous battre » . Mais, pour eux, le site est voué aussi à une « conversion écologique ».

À l’opposé, salariés et syndicats de la raffinerie demandent le « redémarrage de l’entreprise pour ­permettre, sur le site de Dunkerque, la préservation de tous les emplois de la raffinerie des Flandres » . Dans une région sinistrée par la réorganisation de la sidérurgie, les syndicats encore mobilisés veulent que Total s’engage à maintenir les 380 emplois directs menacés ainsi que les quelque 400 emplois chez les sous-traitants, mais divergent sur le sort du raffinage. « On veut redémarrer et discuter posément d’une reconversion sans que les salariés en payent le prix. Si Total délocalise, c’est aussi pour ­accroître ses bénéfices et s’affranchir des réglementations environnementales contraignantes en Europe. On est conscients aussi qu’il y a nécessité d’une reconversion industrielle et écologique », défend François Teyssier, secrétaire du syndicat SUD Chimie, majoritaire dans la raffinerie de Dunkerque.

La CGT, qui a obtenu une table ronde nationale sur l’avenir du raffinage, prévue mi-avril, défend une autre position. La fédération de la Chimie CGT a publié ses vues dans un document intitulé : « Le pétrole, un bien vital ». La fédération soutient qu’il n’y a « pas de surcapacité de raffinage, comme l’affirment les pétroliers. Il n’y a qu’une inadaptation de l’outil, qu’on peut résoudre en orientant les bénéfices non vers les actionnaires, mais vers l’investissement ». À contre-courant des idées écologistes, la fédération souhaite le maintien de l’activité de « raffinage, [qui] participe à la création de la richesse de la France ». De quoi relancer à nouveau les débats dans les prochaines semaines.

[^2]: Dans une Lettre aux salariés de la raffinerie Total à Dunkerque, publiée le 12 février sur le site Basta !, agence d’informations sur les luttes environnementales et sociales

[^3]: Publiée le 24 février sur le site de Médiapart.

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