Longuet/Boutih : le chiffon rouge

Ce qui est fatigant, dans le débat politique hexagonal, c’est la prévisibilité des controverses et des réactions en présence. Et si le “dérapage” de Gérard Longuet et le débat qu’il suscite arrivaient à point nommé pour en occulter un autre ?

Bernard Langlois  • 11 mars 2010
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Tintamarre prévisible et attendu. Des caciques du PS aux éditorialistes qui ont pignon sur rue, toute la bien-pensance est tombée à bras raccourcis sur le sénateur de la Meuse, qui fait, il est vrai, une cible de tout premier choix : comme on le rappelait ici-même [^2] cet ancien ministre fut, en ses jeunes années, un militant musclé d’Occident, mouvement d’extrême-droite qui engendra le FN du père Le Pen (et de sa descendance !).

D’où ce cri unanime : « Il n’a pas changé ! »
L’affaire est entendue, circulez, plus rien à voir.

Voire.
D’abord, reprenons le propos : « Malek Boutih est un homme de grande qualité, mais ce n’est pas le bon personnage. Parce qu’il vaut mieux que ce soit le corps français traditionnel qui se sente responsable de l’accueil de tous nos compatriotes. » Et d’ajouter : « Si vous mettez quelqu’un de symbolique, extérieur, vous risquez de rater l’opération. »

Illustration - Longuet/Boutih : le chiffon rouge

Si je sais lire, les qualités de Boutih ne sont pas en cause. Mais bien l’opportunité de le nommer à la tête de la Haute autorité contre les discriminations, en remplacement de Louis Schweitzer en fin de mandat, comme il est en fortement question.

Ce qui fait problème, bien sûr, c’est la formule : « Corps français traditionnel », qui laisse entendre que le responsable solférinien d’origine nord-africaine n’est pas tout à fait français. Longuet reconnaît du reste sa maladresse, sans renier sa conviction. A savoir : qu’il vaut peut-être mieux nommer à ce poste sensible, qui fait déjà l’objet de bien des critiques des Français les moins ouverts à la diversité (c’est-à-dire la famille politique de M. Longuet), un personnage moins identifié à ces minorités qu’il va être chargé de défendre.

Comme dit plaisamment le président du groupe des sénateurs UMP, «Louis Schweitzer, un vieux protestant (entendez : bon bourgeois membre de la HSP) *, parfait !»*

Il faudrait pouvoir sonder les reins et le cœur de M. Longuet pour trancher de la question : est-il raciste ou pas ? Même sous scanner, on n’y parvient pas …

Illustration - Longuet/Boutih : le chiffon rouge

(On voit quand même vaguement qu’il tient ce qui pourrait être un couteau sous son journal … Un des ceux, sans doute, arraché jadis aux dents d’un coco et qu’il garde en souvenir.)

Donc, il n’est pas sûr qu’il ait tort sur ce coup-là : mieux vaut peut-être un bon bougre (qui soit aussi un bon bourge) pour défendre les droits et libertés des citoyens les plus exposés à des traitements discriminants. Et ce n’est pas une horreur de le penser et de le dire.

Si ?

Maintenant, demandons-nous si la “ maladresse ”, ou “ le dérapage ” de l’honorable parlementaire ne sert pas à autre chose que de donner aux belles âmes de faciles motifs d’indignation.

Car il est un autre débat, bien plus sérieux je crois, qu’a soulevé il y a peu un collectif de syndicats (dont celui de la magistrature et Solidaires) et d’associations (dont la LDH, le Mrap et SOS Racisme) : tout simplement la perte de l’indépendance de la Halde, qu’un projet de loi prévoit d’inclure dans un“ machin ” qui regrouperait les attributions, outre d’icelle, de l’actuel médiateur de la République, du défenseur des enfants, et de la commission nationale de déontologie de la sécurité.

Bref, un fourre-tout, une usine à gaz, dont on se doute de qui aurait la maîtrise du robinet.

Et nos vaillants petits taureaux de foncer sur le chiffon rouge qu’agite M. Longuet.

Olé !

[^2]: Voir sur ce blog : L’attachée intempestive

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