Mais oui, ils bossent !

Dans un film, le Snuipp défend les fondements pédagogiques de l’enseignement en maternelle.

Ingrid Merckx  • 18 mars 2010 abonné·es

La phrase est restée dans les annales : « Pas besoin de faire passer des concours bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches » , avait déclaré Xavier Darcos, alors ­ministre de l’Éducation, devant la Commission des finances du Sénat le 3 juillet 2008, à propos des enseignants de petite section de maternelle. Difficile de faire plus méprisant et de paraître moins ignorant. L’outrage de Darcos s’inscrivait dans un plan de « rationalisation » des dépenses de son ministère. Trois ans plus tard, la masterisation (recrutement des enseignants à bac + 5 mais sans formation) est lancée. Le pourcentage d’enfants de 2 ans en maternelle est passé de 35 % à 18 % entre 2000 et 2009, à mesure des destructions de postes. Les jardins d’éveil (alternative locale et payante à la scolarisation des tout-petits) prolifèrent. Et l’actuel ministre de l’Éducation, Luc Chatel, prévoit de faire appel à des étudiants ou à des retraités pour pourvoir aux remplacements. On ne peut pas dire que la revalorisation promise du métier soit en cours.

« À la maternelle, on apprend ! », proteste le Snuipp, syndicat des professeurs des écoles, qui vient de réaliser, avec la linguiste Mireille Brigaudiot, un film pour le prouver [^2]. Soit 14 minutes passées dans trois classes à la rentrée 2009 afin d’illustrer, en toute petite section, le travail pour établir un lien de confiance, et, dans deux grandes sections, la relation aux autres, à l’image de soi, aux apprentissages, mais aussi l’intégration d’un enfant handicapé. La démarche – derrière chaque geste, quel projet éducatif ? – est judicieuse. Mais le film est tellement démonstratif qu’il suscite des réflexions perplexes : soit les enseignants sont vraiment très inquiets ; soit l’ignorance sur la maternelle est un mal plus répandu qu’on ne le croit –  « C’est une vraie école, avec des enseignants qui enseignent et des élèves qui apprennent. » À moins que l’esprit marketing soit le seul considéré comme apte à ­répondre à un discours comptable…

Reste que ce film défend, derrière ce ton promotionnel, de véritables fondements pédagogiques : la maternelle n’est pas un mode de garde mais la passerelle entre la maison et l’école, le lieu où se structurent le langage et donc la pensée et les relations sociales, où se développe la motricité, où l’on entre dans l’écrit, où l’on réduit les différences (cognitives et sociales), où l’on prévient la stigmatisation des plus fragiles, etc. Cependant que le ministère n’a, derrière ses stratégies budgétaires, que bien peu de préoccupations éducatives.

[^2]: Bravo ! À la maternelle on apprend

Société
Temps de lecture : 2 minutes