Pour une coopération des territoires

Jérôme Gleizes  • 25 mars 2010 abonné·es

Les élections régionales confirment l’implantation territoriale de la gauche. Celle-ci contrôle la quasi-totalité des régions, plus de 60 % des départements, les villes et les agglomérations les plus peuplées et les communautés. Un contre-pouvoir territorial est donc possible, mais malheureusement, ici comme ailleurs, le libéralisme impose sa loi, celle de la compétition, qu’elle soit entre territoires ou au sein de chacun, entre les différents échelons institutionnels. Au lieu de mettre en place une coopération territoriale, les responsables d’exécutifs préfèrent le plus souvent faire une politique prédatrice à coups de zones franches, de dumping fiscal, de réseaux d’influence. Les régions et les villes se concurrencent pour prendre les emplois et les ressources fiscales des voisins.

Cette logique territoriale pousse à la création d’énormes entités géographiques qui, tels des trous noirs, absorbent toutes les ressources les environnant. Le Grand Paris est dans la ligne de cette logique d’obésité territoriale, de concentration des richesses, de compétition entre métropoles européennes. C’est la logique de la droite néolibérale à l’échelle territoriale, qui en passant supprime la dimension démocratique avec la réforme des collectivités territoriales. Tout se concentre dans les mains du Président : création d’un ministère pour le Grand Paris, transfert du pouvoir des élu(e)s au préfet qu’il nomme, création de structures bureaucratiques comme l’Epad, qui va absorber 300 hectares sur les communes de Nanterre et de La Garenne-Colombes sans que les élu(e)s et les habitant(e)s de ces communes puissent donner leur avis sur leur usage…

Mais, pour autant, la gauche n’est pas exempte de reproches dans sa vision politique des territoires. Va-t-elle changer son logiciel politique ? Contre la logique de compétition territoriale, va-t-elle imposer celle de coopération territoriale ? Contre la logique de l’État jacobin, va-t-elle imposer celle d’un État décentralisé, territorialisé? Ne pas attendre de gagner les élections législatives et présidentielle mais construire dès à présent les conditions de cette victoire? Au-delà du nécessaire contre-pouvoir que peuvent constituer les collectivités territoriales à la politique de casse sociale du gouvernement (même s’il n’est jamais utilisé comme tel), elles sont le niveau pertinent de l’action politique. Il faut certes revoir les différents échelons territoriaux, comme le département, mais, aujourd’hui, une relocalisation de l’économie ne peut se faire sans revalorisation politique de ces échelons. Comme le montre Saskia Sassen [^2], le local ne se démarque pas du global et réciproquement, il est nécessaire de trouver des complémentarités territoriales.

Face à une mondialisation capitaliste et uniformisante, il faut singulariser les territoires et leurs productions. Lier le global et le local, c’est produire des biens communs au plus près de leur consommation, mais c’est permettre aussi la coopération des savoirs. Aujourd’hui les Fab Labs permettent de produire localement toute une série de biens, mais cela demande une interopérabilité des technologies (donc l’existence de normes de communications universelles) et une diffusion de savoirs techniques. Après le logiciel libre [^3], le matériel peut devenir libre en s’émancipant des lieux de production. Mais tout cela ne peut se faire sans des territoires constitués et constituants. Le politique peut ainsi reprendre ses lettres de noblesses en réinvestissant la Cité. Mieux que résister localement, il peut être l’acteur de la transformation des multitudes en un sujet politique maître de son destin. Au niveau des villes, il existe le mouvement des villes en transition – « transition towns » –, qui tente d’assurer la résilience de la ville face au double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique. Mais, aujourd’hui, les régions peuvent être un lieu encore plus pertinent de cette capacité à montrer qu’une alternative est possible pour 2012 en assurant une coordination des alternatives possibles.

[^2]: Critique de l’État, Demopolis, 2009, et la Globalisation. Une sociologie, Gallimard, 2009, Saskia Sassen.

[^3]: Le Potentiel subversif du logiciel libre, Jérôme Gleizes,

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