Rivages baroques

Avec son sixième album, Shearwater reste fidèle
à sa ligne aussi épurée que singulière.

Jacques Vincent  • 11 mars 2010 abonné·es

En anglais, un shearwater est un puffin, un oiseau marin proche de l’albatros, et ce n’est pas un hasard si le groupe de Jonathan Meiburg a choisi de s’affubler d’un nom de volatile. La raison tient à la passion de son leader pour l’ornithologie, domaine dans lequel il est d’ailleurs diplômé. Meiburg a fondé Shearwater avec Will Sheff, son partenaire dans Okkervil River, en menant d’abord un projet parallèle avant d’y consacrer tout son temps et d’abandonner son premier groupe, que son comparse est retourné diriger seul.

La première écoute évoque la résurgence d’un passé progressif seventies, moins dans un décalque précis que dans une démarche personnelle qui le démarque de la production actuelle. Une nuance, toutefois : si la vague progressive affichait souvent des tendances symphoniques, la voix de Meiburg, élément central de sa musique, orienterait plutôt vers des rivages baroques. Une voix d’une extraordinaire pureté, qui s’exprime la plupart du temps dans une sorte de recueillement presque mystique. Chez Shearwater, les explosions sont aussi rares et courtes que puissantes.

Pour le reste, la pureté n’est pas le souci principal de la musique, qui accueille volontiers larsen, grincements et autres stridences. Si pureté il y a, c’est celle née de l’effacement de tout élément inutile. On parlera plutôt d’épure pour évoquer cette trame essentiellement tissée par les instruments à percussion (batterie, xylophone) ou ceux utilisés comme tels (notamment le piano), qui entrecroisent des lignes répétitives et obsédantes. S’y niche une poésie aiguë dans laquelle les éléments de la nature ont une place prépondérante : le vent, l’eau, les nuages, la lune surtout.

The Golden Archipelago parle de la vie sur les îles, et cette suite de chansons est comme autant de chapitres d’un journal de bord de Meiburg, qui, pour son travail d’ornithologue, a séjourné dans des endroits comme les Falklands, la Terre de Feu, les Galapagos, Madagascar ou les îles Chatham, au large de la Nouvelle-Zélande. Ces séjours, en tout cas, en ont fourni la matière, loin des décors de rêve, comme le laisse facilement deviner la pochette (tout de même moins empreinte de l’inquiétante étrangeté hitchcockienne de la précédente). Shearwater est en permanence sur le fil du rasoir, et on ne peut qu’espérer qu’il continue de sauvegarder sa singularité, qu’il ne fasse surtout pas école, pour éviter de voir une flopée de suiveurs qui n’auront saisi que l’écume de cette musique unique.

Culture
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