Une loi sur mesure pour les escrocs

Le nouveau code de procédure propose de raccourcir la prescription pour les affaires de biens sociaux.

Léa Barbat  • 11 mars 2010 abonné·es

C’est un coup à donner envie à Bernard Madoff de devenir français : « La prescription de l’action publique court à compter du jour où l’infraction a été commise, quelle que soit la date à laquelle elle a été constatée. » Cette clause de l’avant-projet du code de procédure pénale de Michèle Alliot-Marie, présenté le 23 février en conseil des ministres, a déclenché un débat opposant la ministre et les syndicats de magistrats.
La mesure concerne les affaires de biens sociaux, autrement dit les escroqueries, détournements de fonds et arnaques financières en tout genre, généralement découvertes des années après les faits. Plus les procédures sont courtes, moins elles ont de chances d’aboutir. Faire débuter le décompte du délai de prescription au moment de l’infraction (et non plus à son constat) raccourcirait fortement la marge de manœuvre des magistrats. La ministre de la Justice a beau prévoir d’allonger ce délai à six ans au lieu de trois, la compensation paraît bien maigre.

En effet, si l’on suit la logique de ce texte, de nombreux délits seraient restés impunis. Comme celui des frégates de Taïwan : en 1991, la France vend six frégates à la marine taïwanaise par le biais de Thomson-CSF. 520 millions de dollars seraient passés de la France à Taïwan, qui aurait récupéré la somme sous forme de ­rétro­commissions. Une enquête a démarré en France en 2001, soit dix ans après les faits. Selon l’avant-projet, il y aurait donc eu prescription.

Autre exemple : en 1975, Elf et l’État français achètent un contrat d’exclusivité sur un projet intitulé « Aix » : une machine qui permettrait de détecter du pétrole en survolant une zone géographique. Le procédé se révèle faux. Le Canard enchaîné dévoile l’escroquerie des « avions renifleurs » en 1983, huit ans après les faits. Là aussi, il y aurait eu prescription.
De tels exemples ne manquent pas. Les syndicats de magistrats, qui devraient être consultés d’ici à deux mois, se méfient de ce qu’ils appellent une « bienveillance envers les milieux d’affaires » . Dix-sept organisations de syndicats judiciaires et de services pénitentiaires appellent à une mobilisation générale le 9 mars. Le délai de prescription n’est pas le seul point d’achoppement : la suppression du juge d’instruction est toujours en tête des récriminations.

Société
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »
Entretien 10 juin 2025 abonné·es

« Les idées d’extrême droite arrivent à prendre sur des territoires de la Résistance »

Alors que des groupuscules d’extrême droite annoncent un rassemblement discret à Châteaubriant, le collectif Réveillons la Résistance organise une contre-mobilisation citoyenne le 14 juin. Entretien avec une de ses militantes.
Par Juliette Heinzlef
Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »
Reportage 10 juin 2025 abonné·es

Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »

À Montargis, petite ville du Loiret, le calme habituel a laissé place à un front populaire. Le 9 juin 2025, un cortège de 4 000 personnes a défilé contre la tenue d’un meeting d’extrême droite rassemblant Marine Le Pen, Jordan Bardella, Viktor Orbán et Matteo Salvini.
Par Thomas Lefèvre
Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative
Justice 7 juin 2025

Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative

Après l’expulsion de la Gaîté lyrique en mars, 23 jeunes ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une répression vivement dénoncée par le collectif des jeunes du parc de Belleville. Vendredi 6 juin avaient lieu les premières audiences au tribunal administratif.
Par Élise Leclercq
Collectif des jeunes de Belleville : deux personnes interpellées suite à une plainte de Némésis
Enquête 7 juin 2025 abonné·es

Collectif des jeunes de Belleville : deux personnes interpellées suite à une plainte de Némésis

Deux hommes ont été placés en garde à vue après des plaintes du collectif fémonationaliste, venues perturber un meeting organisé contre les OQTF. Dix jours après les faits, les témoins dénoncent la coopération entre les militantes d’extrême droite et la police lors des interpellations.
Par Pauline Migevant