Comment on appauvrit les retraités

Les précédentes réformes ont entamé le pouvoir d’achat des classes moyennes, qui voient le montant de leurs pensions diminuer. Tandis que le coût de la vie, lui, ne cesse d’augmenter.

Pauline Graulle  • 15 avril 2010 abonné·es
Comment on appauvrit les retraités

Aujourd’hui, c’est dur. Demain, ce sera pire. Tel est, en substance, l’état d’esprit de Guy Maudoux, salarié de l’usine de fabrication de moteurs la Française de mécanique à Douvrin (Pas-de-Calais). À presque 55 ans et déjà 40 ans de carrière, ce syndicaliste de l’Union syndicale de la métallurgie espère échapper à la prochaine réforme des retraites. Au mieux, donc, encore un an et demi « à tirer » , avec pour horizon un peu plus de 1 100 euros mensuels. Loin de la retraite de ses rêves : « Je vois dans ma région des retraités qui distribuent des prospectus dans les boîtes aux lettres. Il faut bien mettre du beurre dans les épinards » , relève-t-il, amer. Ses anciens camarades de l’usine, eux, « suppriment leur abonnement à Canal +, abandonnent leur téléphone portable, ne partent plus en vacances, raconte Guy Maudoux. Mon père et mon grand-père étaient mineurs : ils ont eu une retraite modeste et sont morts jeunes. Mais il y avait moins de misère, et la vie était moins chère » .

Le pouvoir d’achat, voilà ce qui, à l’aube du « grand rendez-vous » de septembre, est au centre de toutes les inquiétudes. Un enjeu social mais aussi éminemment politique. « La question du pouvoir d’achat doit être au cœur de la bataille, souligne Françoise Vagner, secrétaire générale de l’union confédérale des retraités CGT. Non seulement parce que les gens doivent vivre une vieillesse digne, mais aussi parce que si le système de répartition ne garantit pas une retraite de bon niveau il s’écroulera de lui-même, et on ira de fait vers un système par capitalisation. » Un processus déjà bien enclenché. Dans un récent rapport, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) notait ainsi que les dispositifs d’épargne retraite, bien qu’encore « marginaux » , connaissent « une montée en charge progressive depuis 2004 »  [^2]. Il faut bien améliorer des retraites qui plafonnent à 1 122 euros en moyenne.

Depuis la réforme Balladur de 1993, les pensions ont en effet subi une dégringolade d’environ 20 % au global, dénonce la Fondation Copernic (voir page suivante). Le Conseil d’orientation des retraites estime quant à lui que le taux de remplacement passera en moyenne de 72 % (chiffre de 2007) à 59 % en 2050 (voir ci-dessous). En cause, notamment, l’allongement de la durée de cotisation, qui laisse sur le bord du chemin de plus en plus de seniors peinant à atteindre le nombre d’annuités nécessaire pour partir avec une retraite à taux plein : à cause du chômage ou parce que le travail est devenu insupportable. Un phénomène qui touche durement les personnels hospitaliers, qui, depuis la réforme Fillon de 2003, doivent cotiser 40 ans (au lieu de 37,5 ans jusqu’alors). Résultat, « un tiers des aides-soignantes n’ont pas droit à une retraite pleine car elles doivent partir plus tôt à cause de problèmes de dos, ou parce qu’elles en ont marre de travailler la nuit et le week-end, ce qui est encore plus ­pénible quand on vieillit, relève Thierry Vandembeuche, secrétaire FO Santé dans le Pas-de-Calais. Au final, on constate donc que 52 % des affiliés du régime territorial et hospitalier qui partent aujourd’hui à la retraite doivent vivre avec moins de 1 050 euros par mois ».

Fini, donc, le temps où l’angoisse des sombres lendemains était réservée aux précaires du privé. Même à l’Éducation nationale, la hantise du déclassement règne. « J’ai fait des calculs pour des collègues qui sont partis à la retraite en 2004 avec la même ancienneté, le même âge et le même indice que moi : en moyenne, ils gagnent aujourd’hui 200 euros de moins par mois que moi » , constate Michel Salingue, ancien instituteur de 65 ans qui, parce qu’il a eu la chance de réchapper in extremis au coup de bambou de la réforme Fillon, vit plutôt confortablement avec un peu plus de 1 900 euros par mois. « Et on n’est pas encore au bout de nos peines, ajoute-t-il. Le système de décote est une véritable bombe à retardement car il atteindra son plein régime en 2012. Les personnes qui sont parties depuis 2004 ont vu leur retraite “égratignée”, mais on a compté par exemple que les générations nées en 1985 auront un taux de remplacement de 53 %. » Soit, si l’on se réfère aux salaires actuels, quelque 1200 à 1300 euros par mois pour les instits âgés de 25 ans aujourd’hui.

Pas la misère, certes. Mais, entre la baisse des remboursements médicaux, la hausse du coût de l’énergie et les loyers prohibitifs (pour les retraités non-propriétaires), « il y a du souci à se faire » , souligne Françoise Vagner. Et de pointer que la revalorisation des pensions de 0,9 % cette année est inférieure à l’augmentation des mutuelles de santé. Sans compter le nombre grandissant de jeunes retraités qui ont à leur charge deux générations : « J’ai beaucoup de collègues qui doivent aider leurs parents à payer leur ­maison de retraite à 2000 euros par mois, mais aussi leurs enfants qui ont du mal à s’insérer sur le marché de l’emploi » , souligne Michel Salingue.

Dès lors, de plus en plus de retraités « smicards » se retrouvent dans les files d’attente des associations humanitaires. Aux côtés de ceux qui perçoivent le minimum vieillesse. « Il y a des personnes âgées qui gagnaient correctement leur vie et qui, à cause d’un divorce, d’un pépin de santé, ou parce qu’elles ­doivent aider leurs enfants, se ­retrouvent dans la pauvreté, même avec une retraite pas si petite que ça » , souligne Julien Lauprêtre, président du Secours populaire, qui entend former ses bénévoles à la prise en charge d’une pauvreté plus « classe moyenne ».

« Nous sommes contactés par de plus en plus de femmes qui travaillaient à temps partiel et n’arrivent pas à joindre les deux bouts une fois qu’elles sont à la retraite, ajoute Jean-François Serres, secrétaire général des Petits Frères des pauvres. Finalement, la précarité de la vie au travail est reconduite, de manière accentuée, dans la vie à la retraite. »

De quoi affoler les jeunes qui se préparent à une trajectoire professionnelle chaotique, faite de plusieurs périodes de chômage, de CDD et d’intérim, et qui sont deux fois plus touchés par la crise que le reste de la population. « On sent chez eux une réelle volonté de bénéficier d’un modèle social protecteur, mais les jeunes, qui signent leur premier CDI à 27 ans en moyenne, ont du mal à croire à la retraite à 60 ans et à taux plein » , regrette Jean-Baptiste Prévost, président de l’Unef. Ils devront pourtant être en première ligne, en septembre prochain, pour que le ­peuple ait une chance d’emporter la bataille. Et puisse préparer sereinement leur avenir.

[^2]: « Les retraités et les retraites en 2008 », avril 2010.

Temps de lecture : 6 minutes