Des moyens pour l’insertion, vite !

Dans l’une des dernières rues populaires du centre-ville de Grenoble, une association fait face aux incivilités d’une poignée de jeunes et à une baisse de subventions qui handicape le travail des éducateurs dans le quartier.

Erwan Manac'h  • 1 avril 2010 abonné·es
Des moyens pour l’insertion, vite !
© PHOTO : E. MANAC'H

En bordure du centre-ville de Grenoble, au cœur du quartier populaire de l’Alma, cosmopolite et animé, siège l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), une résidence sociale pour des travailleurs immigrés. Elle accueille 200 personnes par an dans ses 86 logements. Depuis trois ans et demi, et la rénovation complète de l’immeuble, une poignée de jeunes, la vingtaine passée, ont élu domicile dans le bâtiment et multiplient les actes d’incivilité : bris de vitre, départs d’incendie, menaces sur le personnel de l’association, incidents avec des résidents. Une histoire banale qui prend ici les contours d’une fable moderne.

L’ODTI a été créé en 1974 pour succéder à un foyer municipal qui remplaçait lui-même les « cafés-garnis », appelés ailleurs « marchands de sommeil », dans lesquels se succédaient jour et nuit des travailleurs algériens. Depuis 2004, une partie des logements est consacrée à une résidence sociale et à des logements d’urgence, destinés à des jeunes hommes en grande fragilité sociale. Ouverte la nuit et le week-end, cette structure est devenue un lieu de rendez-vous.

Depuis peu, des mineurs de 12 à 18 ans occupent à leur tour le hall de la résidence durant la journée. Et des jeunes d’autres quartiers de Grenoble s’ajoutent parfois à ces regroupements. En raison du trafic de drogue, nous concède-t-on plusieurs fois à demi-mot. Ici, l’activité illicite est visible, on alpague le client dans la rue malgré la proximité de l’hôtel de police. « Ils sont stressés en permanence parce qu’ils voient des flics partout, explique un travailleur social du quartier. Ils ont toujours le regard fuyant. Ils ne sont jamais attentifs à la conversation. » « Il y a aussi une forme d’agressivité vis-à-vis de ce que je peux représenter, explique Gilbert Puradjian, l’éducateur de prévention du secteur. Nous sommes parmi les derniers à les côtoyer dans un rapport d’individus, tous les autres sont dans des rapports de commerce. La drogue n’arrange pas les choses. Ce qu’ils mettent dans leurs joints, c’est à tomber à la renverse. »

Les jeux dans le hall de l’ODTI dégénèrent donc souvent en irrespect envers les lieux et les résidents. Pour briser cette spirale, les éducateurs de prévention, la MJC et l’entraîneur de football du club du quartier, qui a un rapport régulier avec les jeunes, projettent de créer une association. L’objectif est d’obtenir une salle ouverte en soirée. Un lieu destiné aux jeunes adultes qui n’ont plus l’âge de fréquenter la MJC ou les éducateurs spécialisés, et aux adolescents qui s’en sont éloignés. « Avec les plus grands, on est dans une relation de courtoisie, explique Gilbert Puradjian, seul à couvrir tout le secteur de centre-ville. On doit rester dans de bons termes pour pouvoir travailler sur le quartier. Les plus jeunes, ceux que j’appelle les “petits soldats”, on essaie de les accompagner. On les touche quand même, mais sur des projets limités. »

Dans ce contexte tendu, la MJC, comme beaucoup d’associations du quartier, est affaiblie financièrement. Ses subventions de fonctionnement ont longtemps stagné, obligeant le secteur jeunesse à passer de trois à un seul salarié depuis 2001, sous l’effet de la hausse des charges. En 2009, un poste de médiateur, chargé d’entretenir le contact avec les habitants, a été supprimé. « On va à la ­cata­strophe dans certains quartiers, et les élus ne s’en aperçoivent pas, s’inquiète Frédéric Prelle, président de la Confédération des MJC de France (CMJCF). Nous avons d’importants problèmes avec la mairie de ­Grenoble, qui a remis à plat l’ensemble des conventions de financement de nos MJC. On se prépare à la suppression d’un poste et demi dans chacune de nos structures à Grenoble, soit 10 à 15 emplois au total, par conséquence indirecte des baisses de subvention en 2010, conjuguées avec le désengagement du département. »
Les élus municipaux, eux, ne nient pas un contexte difficile qui resserre les budgets, mais évoquent une meilleure distribution des subventions en fonction de la fréquentation des MJC, avec une mutualisation des moyens entre structures voisines.

Pour l’ODTI, la situation est grave : l’association est en redressement judiciaire depuis novembre 2007 à cause de la perte de subventions et de problèmes de gestion. La résidence, financée par l’État, le département et la mairie, est incapable de recruter un gardien ou un médiateur pour pacifier son rapport avec les jeunes. Incapable, aussi, d’embaucher un éducateur spécialisé comme dans les autres foyers d’urgence. Claude Jacquier, le président directeur bénévole de la structure, prévoit par ailleurs de nouvelles baisses de subventions en 2010 : « Nous craignons qu’au lendemain des élections régionales une purge très amère soit administrée à tout le secteur social. On est la variable d’ajustement du système. » D’autant que les résidents de l’ODTI « ne votent pas aux élections locales, s’agace le président. Ils ne sont donc pas entendus par ceux qui détiennent le pouvoir ».

Sur l’aspect répressif de l’affaire, Claude Jacquier regrette le manque d’efficacité des forces de l’ordre. Un point de vue que ne partage pas la brigade de police du secteur, qui estime remplir sa mission au mieux, malgré des moyens en baisse : « En cinq ans, on a perdu environ 25 % de nos effectifs, tous corps confondus, explique le capitaine Vidal, responsable de la division Nord de ­Grenoble. Tant que l’accès à la résidence ne sera pas complètement sécurisé, on n’y arrivera pas, malgré nos interventions répétées. » L’argument du ­tout-sécuritaire peine à convaincre, tant les aménagements du hall de la résidence, les portes blindées, digicodes ou caméras installés ces dernières années sont restés sans effet. « Nous sommes en échec et au bout d’une certaine logique », écrivait Claude Jacquier dans une lettre ouverte, le 14 février 2010. Quant à la racine du problème, pour Gilbert Puradjian, elle est bien plus structurelle : « La priorité reste l’insertion. Les jeunes qui posent problème sont en âge d’accéder à une autonomie financière, mais il leur faut autre chose que du loisir. Car, au final, ils s’en sortent tous lorsqu’on leur donne la possibilité de mûrir. »

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