Le pari risqué de Salam Fayyad

Le Premier ministre palestinien, artisan d’une nouvelle stratégie, offre un profil original dans l’histoire de son peuple.

Denis Sieffert  • 22 avril 2010 abonné·es

Avec Salam Fayyad, Premier mi­nistre depuis juin 2007, on est loin de Georges Habache ou même de Yasser Arafat. Les « historiques » qui ont imposé au monde la prise en considération du problème palestinien, et conquis l’autonomie politique pour leur peuple, sont morts ou ont remisé la Kalachnikov à l’armurerie. Né en 1952, près de Tulkarem, en Cisjordanie, Salam Fayyad est un économiste, diplômé de l’université du Texas, ancien cadre de la Banque mondiale. C’est en tant que représentant du Fonds monétaire international (FMI) qu’il rentre en Palestine en 1995. Ministre des Finances de l’Autorité en 2002, il rompt avec les pratiques « artisanales » de l’ère Arafat, cesse de payer les fonctionnaires en liquide, et donne de la transparence à l’économie palestinienne. Il plaît aux Américains, et ne déplaît pas à certains de ses collègues israéliens, économistes ou banquiers comme lui. Il est notamment proche du gouverneur de la Banque d’Israël, avec qui il a travaillé au FMI. C’est à la fois sa force et l’ambiguïté de sa position.

Paradoxalement, il doit pourtant son irruption sur la scène politique à la lutte des factions. C’est après les affrontements de juin 2007 entre le Fatah et le Hamas, qui ont conduit à la prise de contrôle de Gaza par le mouvement islamiste, que le président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, le nomme Premier ministre. Précisément parce qu’il n’appartient à aucune des deux factions.
Tout en restant un grand inconnu dans la population, il a su en trois ans faire apprécier les premiers résultats de sa politique. Des résultats visibles : amélioration de l’approvisionnement en eau, création de routes et autres infrastructures. Des microprojets qui « contournent » pour l’instant l’occupation israélienne. Elias Sanbar, représentant de la Palestine à l’Unesco, parle de 1 500 nouveaux projets pour 2010. Il souligne la création d’emplois et la réduction de la délinquance [^2].

La stratégie de Salam Fayyad a renversé la logique qui domine depuis 1967. Faute d’obtenir un État viable, reconnu par la communauté internationale, il s’emploie à établir une société économiquement ­viable, sans attendre la création de l’État. L’économie avant la politique. Il s’inscrit habilement dans l’air néolibéral du temps. On peut regretter que la marche vers l’État palestinien n’emprunte pas des chemins plus directs. La faute à l’obstruction pratiquée par les dirigeants israéliens, et à la communauté internationale. Mais la situation étant ce qu’elle est, on ne peut guère s’ériger en juge des choix palestiniens. Il est permis en revanche de redouter que l’issue ne soit pas celle que les Palestiniens espèrent. La hâte de la France de Sarkozy à jouer ce jeu éveille les soupçons. Dans le meilleur des cas, la France et d’autres payent en partenariat économique le prix de leur manque de courage politique. Dans le pire des cas, il pourrait s’agir d’enterrer l’État palestinien sous une action en apparence vertueuse. Ce qui est sûr, c’est que Salam Fayyad, lui, croit en sa stratégie. Même si le pari est risqué.

[^2]: Entretien dans Politis numéro spécial, mars-avril 2010.

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