L’Europe menacée par le mercantilisme

Dominique Plihon  • 22 avril 2010 abonné·es

La crise de la dette publique en Grèce a suscité une vague de critiques acerbes contre la mauvaise gestion des autorités helléniques accusées de maquiller leurs comptes et de faire preuve de laxisme. En réalité, dans cette crise européenne, les responsabilités principales ne sont pas tant du côté des PIGS [^2] que de celui des grands pays. Non seulement ces derniers ont opté pour une solidarité minimum envers les pays de la zone euro en difficulté, mais ils sont largement à l’origine des dysfonctionnements qui ont entraîné la spéculation sur l’euro. De ce point de vue, l’Allemagne a une responsabilité majeure. Les gouvernements allemands successifs – de Schröder à Merkel – ont mené une politique systématique de réduction des salaires (ceux-ci ont reculé de 0,4 % en 2009), de précarisation de l’emploi, avec un développement des emplois peu qualifiés via les exonérations des charges sociales, et le relèvement de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans. Le coût social de cette politique a été considérable : 14 % de la population allemande vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté. Mais l’objectif mercantile recherché a été atteint : depuis le début de l’union monétaire en 1999, les parts de marché des exportations manufacturières allemandes dans la zone euro ont augmenté de 10 %, tandis que cette part baissait de 8 % pour l’Italie… grâce à une baisse de 6 % des coûts salariaux unitaires allemands dans l’industrie, contre une hausse de 30 % en Espagne et de 35 % en Italie.

Du fait de cette politique de déflation salariale, la demande intérieure a stagné en Allemagne, tandis que les exportations ont fortement augmenté (+ 7 % par an), creusant les déficits commerciaux avec les autres pays de la zone euro. La croissance allemande a ainsi été tirée par ses partenaires accusés aujourd’hui d’être à l’origine des déséquilibres de la zone euro ! Le chômage allemand, qui a baissé de 5 à 3 millions de 2005 à 2008, a été exporté vers le reste de l’Europe.
Cette stratégie mercantiliste de l’Allemagne, fondée sur la régression sociale et une compétition sauvage, est au cœur des dysfonctionnements actuels de la zone euro. Du fait que la monnaie est unique, les pays en difficulté ne disposent plus de l’arme monétaire (dévaluations) pour se protéger et rétablir leur compétitivité. Ils sont obligés de s’ajuster par la baisse des salaires et des dépenses publiques, ce qui amplifie la récession en cours. Cette situation est aggravée par l’absence de politiques économiques communes dans l’Union monétaire qui auraient pu favoriser le rattrapage des pays en retard.

Que va-t-il se passer dans le futur ? Deux scénarios sont envisageables. Le scénario rose serait celui de la mise en œuvre de politiques coopératives dans l’Union européenne, destinées à mutualiser les risques et les ressources par l’instauration de politiques budgétaires et fiscales communes, aujourd’hui quasiment inexistantes. Ce qui impliquerait d’augmenter le budget communautaire (aujourd’hui plafonné à moins de 1 % du PIB européen), d’harmoniser la fiscalité pour éliminer la concurrence fiscale, et de construire un espace social européen avec des normes communes, notamment des salaires minimaux. Un tel scénario suppose que soit remise en cause l’hégémonie de la politique monétaire au service des marchés, et que soient jetées les bases d’une union politique nécessaire au contrôle de la Banque centrale, du budget communautaire et à la création de taxes communes.
Le scénario noir est la poursuite d’une construction européenne fondée sur la logique mercantile, avec des politiques communes minimales réduites au plafonnement des déficits publics et à la préservation de la concurrence. Inutile de dire que la probabilité du scénario noir est hélas aujourd’hui la plus élevée, étant donné la nature des forces politiques qui gouvernent l’Europe. Dans ces conditions, de nouvelles crises pouvant conduire à l’implosion de la zone euro ne sont pas à exclure. On peut faire confiance aux marchés financiers et à la spéculation pour y contribuer !

[^2]: Portugal, Italie, Grèce, Espagne.

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