On en reprend pour dix ans ?

Réuni les 25 et 26 mars, le sommet des dirigeants de l’Union européenne s’est accordé pour lancer
une nouvelle stratégie économique, directement inspirée par le lobby des industriels européens.

Thierry Brun  • 1 avril 2010 abonné·es

Quelques dirigeants européens ont certes grogné lors de la présentation du projet de stratégie économique pour les dix ans à venir, baptisé Europe 2020, les 25 et 26 mars, lors du sommet de printemps des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne. Mais les Vingt-Sept ont adopté, sans trop rechigner, les grandes lignes de ce projet de la Commission européenne, intitulé « Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive ».

Europe 2020 est une nouvelle mouture de la stratégie de Lisbonne adoptée en 2000, qui affirmait qu’en l’espace de dix ans l’Europe serait « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus avancée du monde, sur la voie du plein-emploi et de l’intégration sociale ». On en est loin, et la nouvelle stratégie de la Commission, accusée d’ignorer les problèmes sociaux, a suscité quelques réticences, notamment de la Belgique et de l’Allemagne, en raison de la crise économique et financière.
Les taux de chômage européens ont en effet atteint des niveaux records. Dans les 27 pays de l’UE, plus de 4 millions de personnes ont perdu leur travail en 2009. Dans ce contexte, « la Commission est revenue à plus de modestie : il s’agit maintenant pour l’Europe de préserver ses positions dans le marché mondial, et non plus de viser le haut du podium », commente l’association altermondialiste Attac, qui ajoute que « le bilan de la stratégie de Lisbonne est catastrophique. D’inspiration résolument néolibérale, elle a contribué à plonger l’Europe dans la crise financière et économique. C’est ce modèle lui-même qui est responsable de la situation que nous connaissons aujourd’hui ».

Les Vingt-Sept ont cependant retenu l’essentiel du projet de la Commission dans leurs conclusions pour « une nouvelle stratégie européenne pour l’emploi et la croissance » , en particulier les cinq principaux objectifs (emploi, recherche et innovation, changement climatique et énergie, éducation, lutte contre la pauvreté) et les fameuses « initiatives phares » destinées à « stimuler les progrès ». Le président permanent du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a même affirmé que les grandes lignes du programme stratégique seront définitivement adoptées au mois de juin. Signe que le projet de la ­Commission est en bonne voie, son président, José Manuel Barroso, s’est dit « ravi » d’avoir « un accord fondé sur les propositions de la Commission » et a souligné que les dirigeants européens « s’étaient entendus sur la plupart des éléments du plan proposé, y compris une plus grande coordination des politiques économiques nationales et européennes ». L’organisation patronale BusinessEurope a aussi salué l’adoption de la « stratégie 2020 » , qui doit conduire « à un mouvement réel pour des réformes afin de doper la croissance et de restaurer la durabilité budgétaire dans tous les pays de l’UE ».

« Le modèle de développement n’est pas mis en cause. Il est juste repeint aux couleurs d’une croissance “verte, intelligente et inclusive”, défendue par des lobbies patronaux tels que l’European Round Table (ERT) [Table ronde des industriels européens] », commente Attac. Ce lobby des grands industriels a pesé de tout son poids pour convaincre Bruxelles et les gouvernements européens de s’inspirer de leur Vision pour une Europe compétitive en 2025 , qui encourage les gouvernements à réduire les dépenses publiques dans un certain nombre de domaines. Les industriels ont averti « les dirigeants européens qu’une réforme fondamentale des systèmes sociaux et de santé doit être mise en place rapidement afin de mettre l’Union sur le chemin de la croissance durable », a notamment annoncé Wim Philippa, secrétaire général de l’ERT.

Le contenu d’« Europe 2020 » n’a guère été apprécié des syndicats et des ONG, qui ont organisé leur sommet alternatif au Parlement européen le 25 mars. « Les objectifs associés sont dans la continuité de ceux fixés en 2000 pour 2010. Ils sont formulés sur un mode incantatoire, afin d’étalonner les “progrès” des pays membres (le benchmarking), et de mettre à l’index les pays mauvais élèves » , note Attac. Libéralisation des services, discipline budgétaire forte et déréglementation ont ainsi été transférées dans Europe 2020. L’Europe doit ainsi « faire tout son possible pour mobiliser ses moyens financiers et explorer de nouvelles voies en matière d’association de fonds privés et publics et de création d’instruments innovants pour financer les investissements nécessaires, y compris les partenariats public-privé (PPP) » . Le « big business as usual » domine les orientations, a constaté le Corporate Europe Observatory (CEO), un groupe de militants et chercheurs (dont Susan George) installé à Bruxelles, qui travaille sur l’influence du lobbying industriel sur les politiques européennes. Cette organisation soutenue par des ONG, notamment Oxfam, les Amis de la Terre et la Fondation pour une terre humaine, a comparé le contenu d’Europe 2020 avec les lignes directrices de l’ERT. La conclusion est sans équivoque : la copie est quasi conforme à l’original.

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