Une belle Nénette

Le documentaire
de Nicolas Philibert
sonde les réactions
de l’homme
devant l’animal.

Christophe Kantcheff  • 1 avril 2010 abonné·es

Nénette est une vedette. La vedette de la ménagerie du Jardin des plantes, à Paris. Elle y est arrivée en 1972, en provenance de Bornéo, alors qu’elle avait à peu près 3 ou 4 ans. Ce qui lui fait, aujourd’hui, plus de 40 ans. Un âge cacochyme pour un orang-outan. Nénette est la vedette du documentaire éponyme de Nicolas Philibert. Elle y occupe l’écran du début à la fin, ne le partageant que de temps à autre avec l’un de ses « fils », Tübo, que les responsables du zoo ont laissé à ses côtés pour qu’elle ne soit pas seule. Quand elle ne mange pas un yaourt ou ne fait pas, un peu ralentie, une cabriole avec Tübo, elle est filmée le plus souvent plein cadre, l’air assoupi, une paupière vaguement levée, mais attentive à se qui se passe autour d’elle.

Autour d’elle ? La caméra n’en montre rien. C’est par la bande-son que le hors-champ entre dans le film. Le hors-champ, c’est 600 000 visiteurs dans l’année. Ou, en l’occurrence, un choix de réflexions, très spontanées ou plus élaborées, que des familles, des touristes, des enfants… tiennent devant Nénette. Cette séparation de l’image et du son est la radicale et ingénieuse trouvaille de mise en scène qui fait basculer Nénette du film animalier au film sur l’Homme. Car il ne s’agit pas de ne rien voir de ce qu’on entend. Au contraire, on n’a peut-être jamais aussi bien montré ce que les humains projettent d’eux-mêmes sur un animal. Que celui-ci soit un singe, un orang-outan, augmente l’effet miroir. Seul, peut-être, le romancier Éric Chevillard, dans le drolatique Sans l’orang-outan (Minuit, 2007), y était parvenu, à sa manière.

Hormis les réjouissants éclats de rires enfantins devant les singeries de Nénette et de son fils, les paroles prononcées commentent ou interrogent ce qui se passe derrière la vitre du zoo. Le recours à l’anthropomorphisme est le plus commode, le plus familier, le plus rassurant. Même les soignants, eux aussi hors champ, qui témoignent de leur relation avec Nénette, y ont recours. Nénette est un film à double fond. À la surface, le portrait d’un orang-outan exceptionnel. En sous-main, une invitation au mystère insondable du règne animal.

Culture
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