Big Brother Awards : après le contrôle, remise des notes !

Avec dix prix et un double palmarès, les Big Brother Awards, qui « récompensent » les apôtres de la surveillance, fêtent leurs dix ans. L’occasion de vérifier qu’ils n’ont rien perdu de leur humour et de leur pugnacité.

Christine Tréguier  • 20 mai 2010 abonné·es
Big Brother Awards : après le contrôle, remise des notes !
BBA : http://bigbrotherawards.eu.org
Barcamp : http://bigbrotherawards.eu.org/article1127.html
Théâtre de la Belle Étoile :

PHOTO : HUGUEN/AFP

La remise annuelle des Big Brother Awards (BBA) est devenue une quasi-institution. Tout a commencé en 2000. Le concept de ces Oscars de la surveillance, lancé par l’ONG anglaise Privacy, est repris par une poignée de militants français à l’initiative du journaliste Jérôme Thorel. L’idée est simple : quatre « Orwell » pour les méchants – État/Élus, Localité, Entreprise, Novlangue (introduit en 2004 pour remplacer Technologie) –, un cinquième prix pour les empêcheurs de surveiller en rond, baptisé Voltaire, et une cérémonie de remise des prix parodique. Les organisateurs, affublés de tenues militaires, casque bleu ou casquette martiale de contrôleur RATP, ont fait le choix de l’humour et de la satire pour évoquer les méthodes et l’irrépressible avancée du contrôle tous azimuts de la population. Chaque année, ils reçoivent des dizaines de dossiers. Chaque année, les prix-sanctions tombent. Assez médiatisée à ses débuts, la révélation des primés ne suscite bientôt plus que quelques lignes. Comme si tout le monde s’habituait à cette surveillance constante contre laquelle « on ne peut rien faire ». Les médias se font rares, mais les organisateurs ne désarment pas.

Cette année, les BBA fêtent leurs dix ans d’existence au cours d’une année faste en petits et grands « brothers ». À peine le formulaire en ligne ouvert, les nominations du public ont afflué : « De mémoire d’organisateurs, jamais le choix n’a été aussi difficile » , a annoncé Jérôme Thorel en ouverture de la conférence de presse dévoilant le palmarès 2010. Deux mots pour expliquer que le plus attendu et le plus « petit brother » , Nicolas Sarkozy, a été unanimement mis hors compétition pour « récidivisme chronique » avant d’enchaîner sur la longue liste des dix gagnants. « Nos jurés ont absolument tenu à “récompenser” les plus méritants de ses exécuteurs, qu’ils soient mi­nistres, hauts fonctionnaires, élus locaux, entreprises, médias ou personnalités. » Ce palmarès – et les nominations – est à la mesure du problème : la société postmoderne qui vient – ou plutôt qui est déjà – se laisse noyer dans un « sentiment d’insécurité » entretenu par les pro-surveillance à tout va et abandonne une part de sa propre vie privée. La surveillance et la volonté de contrôle sont omniprésentes, les données personnelles sont avalées grain par grain par les fichiers-aspirateurs publics et privés, et les législateurs de l’État sarkozyste semblent avoir oublié les piliers essentiels de la démocratie. Nous ne citerons ici que quelques-uns de ces primés ordinaires et moins ordinaires, dont les lecteurs de la rubrique « De quels droits ? » ont pu suivre les œuvres au fil des mois.

Le premier d’entre eux est honni pour son pseudo-débat sur l’Identité nationale et le sort inhumain qu’il réserve aux demandeurs d’asile : Éric Besson rafle haut la main l’Orwell État/Élus pour « durcissement des quotas d’expulsion, refus de disculper les personnes et associations aidant les migrants et expulsions expéditives hors contrôle du juge des libertés ». « C’est pas Auschwitz » , a dit un jour Besson pour qualifier sa politique. « Encore heureux ! » réplique le doyen du jury, Maurice Rajsfus. Ses dauphines – Michèle Alliot-Marie pour ses œuvres complètes en tant que ministre de l’Intérieur et de la Justice et Roselyne Bachelot pour le giga-fichier H1N1 convoité par ses amis des labos pharmaceutiques – étaient méritantes, mais pas assez pour séduire le jury.

La catégorie était si fournie qu’elle s’est vue greffer deux mentions spéciales : une pour le plus beau fichier, qui va sans surprise aux ministres successifs de l’Éducation nationale ­(Robien, Darcos et Chatel) pour Base Élèves/BNIE (Base nationale des identifiants élèves). Avec les autres fichiers scolaires qui lui sont ou seront rattachés, c’est un véritable « casier scolaire » suivant l’enfant de 3 à… 35 ans. Il devance de justesse le RSA du duo Martin Hirsh-Éric Woerth. Une seconde mention pour le meilleur « Exécuteur des basses œuvres » échoit à la quasi-unanimité à Éric Ciotti, « conducator zélé d’un département (Alpes-Maritimes) qui veut être le premier à supprimer les allocations aux familles en difficultés », « porte-flingue du gouvernement » et rapporteur du très inquiétant fourre-tout sécuritaire qu’est la Loppsi2 (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure). Le prix Novlangue revient quant à lui à Brice Hortefeux pour un amendement à la même Loppsi2, imposant le « remplacement du terme “vidéosurveillance” par “vidéoprotection” » dans tous les textes de lois. George Orwell aurait apprécié.

Quelques surprises au palmarès : dans la catégorie Entreprise, mention Internet, ce ne sont ni « Facebook et vous » ni Google qui arrivent en tête, mais Trident Media Guard (TMG) et son actionnaire Thierry Lhermitte. Le comédien a investi dans la société juste avant qu’elle ne soit choisie par la haute autorité Hadopi pour traquer les internautes partageux. « Tout pour Ma Gueule » , traduisent avec humour les BBA. À la fin de la conférence, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature et juré Matthieu Bonduelle a annoncé, sourire aux lèvres, le tout premier Prix spécial du jury, attribué à Alex Türk, le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). ­Nominé en tant qu’ « exécuteur de basses œuvres » et pour son usage de la novlangue, il est épinglé pour son ­double discours perpétuel et son habileté à faire diversion. Exemple : montrer Facebook du doigt pour mieux faire oublier la nébuleuse des fichiers policiers. Le lendemain de l’attribution de son prix, il s’est dit honoré, sur Facebook, de cette distinction « décernée par un “jury” composé de membres aussi peu éclairés, tellement contents d’eux-mêmes et ô combien dépourvus de toute influence » . Quant au prix Voltaire il est revenu au collectif grenoblois Pièces et main-d’œuvre (PMO), tête de pont des anti-nanotechnologies. Qui se trouve avoir aussi participé en 2007 à une action d’occupation et de dissolution de la Cnil.

Pour bien marquer la tonalité de cette année exceptionnelle, marquée par le slogan « Les surveillés se rebiffent », les organisateurs préparent pour le 29 mai, jour anniversaire, une autre remise des prix en direct, celle du Palmarès BBA spécial dix ans. Les internautes sont invités à voter pour leur candidat préféré dans chaque catégorie d’après la liste des pires primés/nominés des dix années écoulées, disponible sur le site des BBA. Un vote en ligne, donc sujet à caution. « Mais c’était l’occasion, explique une ­membre des BBA, de souligner le problème de non-fiabilité du vote électronique. Et, pour ceux qui viendront le 29 mai, il y aura une bonne vieille urne transparente. » La soirée sera précédée d’un Barcamp (« pas de spectateurs, que des participants »), une après-midi d’ateliers sur le thème de la contre-surveillance au théâtre de la Belle Étoile, à Paris. Et l’ouverture se fera au son des instruments et des rimailles de la compagnie Jolie Môme, hôte de ces BBA 2010.

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