Des proprios très indiscrets

Un fichier des demandeurs de logement social a été mis en place en Rhône-Alpes, truffé de renseignements intimes sur les personnes. La Cnil a été saisie mais n’a pas encore obtenu de réponses à ses questions.

Claude-Marie Vadrot  • 20 mai 2010 abonné·es
Des proprios très indiscrets
© PHOTO : BUREAU/AFP

À voir certaines initiatives récentes, on se dit qu’il existe deux façons de résoudre la question du logement social : en construire plus… ou éliminer le maximum de candidats. La seconde solution coûte évidemment moins cher, y compris dans les établissements d’hébergement d’urgence, qui servent de sas à l’attribution de logements. Ce deuxième choix est parfaitement illustré par la disparition des DDASS (directions départementales des affaires sanitaires et sociales), remplacées depuis le 1er avril par des directions de la cohésion sociale et de la protection des populations. Pour mieux assurer ladite « cohésion », il semble d’ailleurs que la meilleure solution, donc la plus « efficace », ne soit pas de favoriser la mixité des hébergements et des zones d’habitat, mais d’appliquer le fameux adage « Qui se ressemble s’assemble ».

La mise en place d’un fichage particulier dans la région Rhône-Alpes manifeste à la fois cette tendance à regrouper les difficultés sociales et cette volonté d’éliminer des demandeurs. Les établissements d’hébergement, des foyers de jeunes travailleurs aux résidences sociales, sont priés depuis le début de l’année de nourrir un fichier régional : un répertoire créé en 2006 pour « quantifier la demande et l’offre d’hébergement pour la mise en place d’un système d’informations permanent ». En fait, il s’agit d’identifier les demandeurs par un questionnaire dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est particulièrement indiscret. D’autant plus que ce sont les établissements, et non pas les demandeurs, qui sont chargés de ré­pondre aux questions. Avec des renseignements touchant à la vie privée, et donc livrées à l’arbitraire de ceux qui les fournissent.

Il est notamment demandé de signaler, outre les adresses successives et la situation familiale, quelle est « la vie professionnelle » des candidats. Avec des détails sur « leur vie sexuelle et le genre du conjoint » . Les personnes chargées d’alimenter le grand fichier régional doivent également donner des détails à propos des « habitudes de vie et de comportement ». Il leur faut également signaler « les condamnations ou les mesures de sûreté ».

Le fichier régional, qui a pour nom de code COHPH, qui signifie « connaissance de l’offre d’hébergement et des personnes hébergées », est renseigné par un « responsable opérationnel départemental ». Seul juge, sans prévenir les demandeurs, des détails qu’il accumule sur les personnes concernées. Et sans que celles-ci bénéficient du moindre droit à des rectifications puisque le seul individu n’ayant pas accès à ce type de suivi est… le fiché lui-même. Il ne saura donc jamais, autres exemples, s’il a été signalé qu’il a été SDF, est endetté, a fait de la prison, a des antécédents médicaux ou psychiatriques, ou qu’il a été victime d’une période de chômage. Sont également signalés, toujours sans la moindre vérification, les emplois que le demandeur a occupés dans le passé. Avec des commentaires suggérés sur sa faculté à « conserver ses emplois ». Une touche d’humour (involontaire ?) dans le contexte actuel du marché du travail.

Ce fichier, en cours d’installation dans de nombreuses autres régions, contrevient aux prescriptions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui a été saisie en octobre 2009 et en février 2010 par la Ligue des droits de l’homme et l’Association des résidences et foyers de jeunes. Alex Türk, président de la Cnil, a répondu par courrier que le questionnaire en question est différent de celui qui avait été communiqué à la Commission dans le cadre de sa déclaration… en juin 2006. Le questionnaire a donc été considérablement modifié, tous les renseignements « indiscrets » ayant été ajoutés. Y compris, explique la Cnil, « des zones commentaires ». Des explications ont été demandées par la Cnil : à la mi-mai, elles n’ont toujours pas été fournies. Alors que planent quatre menaces : ce fichage est très mal protégé, son code étant « cassable » en quelques secondes ; il existe un projet d’extension nationale de ce nouveau fichier ; celui-ci pourrait servir à stigmatiser la population la plus démunie ; n’importe qui peut se procurer les informations qu’il contient. Comme le rappelle la récente condamnation à huit mois de prison ferme par le tribunal de Versailles d’un commissaire de police qui puisait dans les fichiers officiels pour alimenter, moyennant finances, des enquêteurs privés…

Cette initiative régionale à vocation nationale est cohérente avec la publication (signalée dans Politis n° 1102 et dénoncée par Droit au logement) le 2 mai du décret 2010-431 « relatif à la procédure d’enregistrement des demandes de logement locatif social » . L’alinéa 441-2-5-I de l’article I explique que « les informations renseignées dans le formulaire de demande sont enregistrées dans un système national de traitement automatisé ». Ce qui implique un numéro national. Lequel, comme le hasard fait bien les choses, sera le même que pour les fichiers régionaux. Pour alimenter un énorme répertoire national des demandeurs de logements sociaux, et donc permettre la mise en place de filtres et de procédures informatisées d’exclusion fondés sur des critères sociopolitiques subjectifs. Comme la participation à une occupation ou à une manifestation de mal-logés, par exemple…

Société
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