Le glaive, la balance… et le dictionnaire

Insultes ou liberté d’expression ? Les six personnes accusées de délit d’outrage invoquent pour leur défense le droit d’émettre des opinions et d’employer certains termes.

Clémence Glon  • 20 mai 2010 abonné·es

Le procès qui se tiendra à Pau est celui du poids des mots dans l’espace public et du sens réel du délit d’outrage. Est-il interdit de faire un parallèle entre deux périodes de l’histoire ? Devient-on délinquant en établissant des points communs entre les conditions de mise en rétention de personnes sans papiers et les années noires de 1940 ?

« Sur la forme, les méthodes employées sont les mêmes », indique Me Maripierre Massou dit Labaquère, qui défend ­quatre des six personnes accusées de délit d’outrage par le préfet des Pyrénées-Atlantiques. Interpellations au petit matin, enfermement d’enfants scolarisés et convocations pièges rappellent inévitablement la période 1939-1945. Évidemment, le but des interventions n’est pas le même, mais « la liberté d’expression donne le droit de révéler ces similitudes, continue l’avocate. “Papon” n’est pas un gros mot ». Quand Yves Ribault, auteur d’un des mails, écrit : « En d’autres temps, ­d’autres fonctionnaires zélés ont obéi ainsi aveuglément, sans états d’âme… C’était à Vichy ! » , aucune attaque n’est proférée envers le préfet. « Ce sont les méthodes policières mises en place depuis 2002 qui sont dénoncées dans leur ensemble » , assure l’avocate. Quant au mot « rafle », le Petit Robert (édition de 1993) en donne la définition suivante : « Arrestation massive opérée à l’improviste par la police dans un lieu suspect ». Aucune référence à celle du Vel’ d’Hiv en 1942, donc, mais le terme conserve une connotation historique forte dans la mémoire collective.

Les philosophes Miguel Benasayag et Angélique del Rey, expliquaient en 2008 dans un ouvrage [^2] : « Le souvenir de la traque des enfants juifs ressurgit en toute autonomie et redouble la dimension tragique des actuelles chasses aux enfants, en les associant à un passé qui reste en souffrance. »

[^2]: La Chasse aux enfants. L’effet miroir de l’expulsion des sans-papiers, Miguel Benasayag et Angelique del Rey, avec les militants de RESF, La Découverte, 2008, p. 82.

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