« L’Étrange affaire Angélica » de M. de Oliveira ; « Chongqing Blues » de W. Xiaoshuai ; « The Housemaid » de Im Sang-Soo

Christophe Kantcheff  • 14 mai 2010
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« L’Étrange affaire Angélica » de M. de Oliveira ; « Chongqing Blues » de W. Xiaoshuai ; « The Housemaid » de Im Sang-Soo

Il y a eu un petit incident (rare à Cannes) lors de la projection de presse du film de Manoel de Oliveira, l’Étrange affaire Angélica . Le film s’est rompu, alors qu’un des personnages était en train de parler de « collision de matière » . Doit-on croire aux fameuses « forces de l’esprit » ? En tout cas, Manoel de Oliveira, à bientôt 102 ans, y croit vraisemblablement.

Illustration - « L'Étrange affaire Angélica » de M. de Oliveira ; « Chongqing Blues » de W. Xiaoshuai ; « The Housemaid » de Im Sang-Soo

Voir, comme je l’ai fait, l’Étrange affaire Angélica , présenté dans la section Un certain regard, dans la foulée de Chongqing Blues , du Chinois Wang Xiaoshuai, qui concourt, quant à lui, dans la compétition officielle, laisse un trouble : le second ressemble à un film de vieux (le cinéaste de Shanghaï n’a pourtant que 44 ans), le premier à une « fantaisie grave » de jeune cinéaste. Chongqing Blues est aussi sans surprise et appliqué que l’Étrange affaire Angélica est barré.

La liberté d’Oliveira se manifeste autant dans le choix de son intrigue – un photographe est appelé une nuit pour tirer le portrait d’une jeune morte, qui lui sourit quand il porte son œil derrière le viseur, ce qui provoque chez lui une attirance irrésistible pour ce joli fantôme –, que dans sa mise en scène, qui fait fi du réalisme avec l’usage de transparences et d’effets spéciaux. L’humour est incessant chez le doyen portugais des cinéastes, en même temps qu’une interrogation sur l’au-delà des apparences, du réel et de la matière, empreinte d’un mysticisme déroutant. l’Étrange affaire Angélica a été tourné dans la région du Douro, non loin de Porto, là où les travailleurs sont réputés être durs à la tâche, lieu propice pour réunir dans un même film de grands espaces d’eau ou de ciel (l’ailleurs) et des paysans qui travaillent encore la terre à la pioche (l’ici et maintenant).

Illustration - « L'Étrange affaire Angélica » de M. de Oliveira ; « Chongqing Blues » de W. Xiaoshuai ; « The Housemaid » de Im Sang-Soo

Le film n’est pas dénué de quelques longueurs, ni de bizarreries naïves, certes. Mais que dire de Chongqing Blues , l’histoire d’un père qui revient après quatorze années d’absence ? Son fils est mort, après avoir pris en otage une cliente dans un magasin, tué par un policier. L’enquête du père pour comprendre qui était son fils l’entraîne évidemment dans les affres du sentiment de culpabilité, car tout cela ne serait pas arrivé, n’est-ce pas, s’il ne l’avait pas abandonné pendant si longtemps. Mise en scène plan-plan, facture académique, message moralisateur reçu 5 sur 5 dès le premier quart d’heure… Quel pensum !

Le deuxième film du jour de la compétition officielle vient également d’Asie : The Housemaid (« la domestique »), du Coréen Im Sang-Soo, l’auteur, en 2003, d’ Une femme coréenne . L’histoire : une jeune aide-gouvernante, qui vient d’être engagée dans une très riche maison, va se retrouver enceinte du mari puis dans le collimateur de la femme trompée et de la mère de celle-ci. Avec beaucoup de finesse et d’intelligence, le film déploie toutes les formes de domination (douce, courtoise, brutale, impitoyable…) pouvant sévir au sein d’une famille bourgeoise : celle de l’homme sur la femme, du riche sur le pauvre, et même de la domestique en chef sur sa subordonnée, la première endossant d’elle-même le rôle de « kapo ».

Illustration - « L'Étrange affaire Angélica » de M. de Oliveira ; « Chongqing Blues » de W. Xiaoshuai ; « The Housemaid » de Im Sang-Soo

Si la portée sociale du film est incontestable et developpée jusqu’à son terme, elle n’en est pas l’unique enjeu. Un autre malaise s’insinue, quelque chose d’inquiétant, où le fantastique affleure, sinon le gore, que la mise en scène réussit à tenir sans jamais le rendre démonstratif, exhalant parfois un séduisant parfum hitchcockien. Tous les comédiens sont parfaits, en particulier Jeon Do-You, qui interprète la jeune domestique, déjà primée à Cannes en 2008, pour son rôle dans Secret Sunshine de Lee Chang-dong.

Ah, au fait, à propos de lutte des classes, cette phrase dans l’article que Libération , sous la plume du critique Philippe Azoury, a consacré aujourd’hui à Robin des bois de Ridley Scott, dont je parlais – un peu légèrement, je le concède – hier : « Crowe, sa rondeur et sa force, donne son identité prolétaire au film, Scott n’a pas de peine à en faire un corps politique, marxien, un guerrier qui sent l’honnêteté et le purin » . Brillant, incontestablement, mais légèrement fantasmatique, non ?

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