Ma Proposition La Plus Iconoclaste

Sébastien Fontenelle  • 9 mai 2010
Partager :

Illustration - Ma Proposition La Plus Iconoclaste

Jeudi, Le Nouvel Observateur nous prévenait: attention, «Terra Nova, le think tank de gauche, va publier un rapport qui décoiffe» [^2].

(Histoire, probablement, qu’on le note sur nos agendas, juste sous le rendez-vous chez l’oto-rhino: ne pas oublier que Terra Nova, le think tank de gauche, va publier un décoiffant rapport.)

Ce dépeignant document est une contribution terranovanaise au débat sur la (pressante) réforme des retraites[^3], et Le Nouvel Observateur ovationnait jeudi «sa proposition la plus iconoclaste: mettre à contribution les retraités» pour financer la (pressante) réforme des retraites.

Et voilà que, trois jours après Le Nouvel Observateur , Le Monde , à son tour, nous prévient que «la fondation Terra Nova, le think tank proche du Parti socialiste, (…) s’apprête à publier un rapport sur les retraites» où se trouve, parmi d’ «autres» , une proposition «qui peut être jugée iconoclaste: faire payer les retraités actuels» .

(J’imagine que Libération , où chaque nouvelle proposition de Terra Nova fait superlativement bicher le (barbichu) taulier Joffrin, va de son côté nous prévenir, dans les jours qui viennent, que cette fondation de gauche a pondu un rapport sur les retraites incluant notamment la merveilleuse idée qu’il faut que les retraité(e)s bouchent le trou des retraites: Laurent Joffrin n’est pas, qu’on sache, du genre à laisser passer un si progressi(conocla)ste scoop.)

Dans la réalité, bien sûr, la proposition de Terra Nova n’est pas si formidablement (terra)novatrice que dans le caquètement du Nouvel Observateur ou dans l’écholalie du Monde : elle ressemble, plus modestement, à quelque chose comme une déclinaison du projet que forma l’an dernier Jean-François Copé (qui est quelque chose dans l’Union pour un mouvement populaire) de «fiscaliser» fissa «les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale aux salariés suite à un accident du travail» – et qui n’était jamais, vu de près, que la confirmation de l’ancestrale obstination que la droite met à prélever aux laineux bas des gueux la thune qu’elle met dans ceux des riches.

De même que Jeff Copé veut faire combler par les malades le déficit de l’assurance-maladie, Terra Nova, secouant aussi le carcan des conservatismes soviétiques où notre cher und vieux pays s’est depuis trop de siècles enlisé, veut faire combler par les retraité(e)s le déficit des retraites: dans les deux cas, tu l’auras compris, l’objectif n’est pas du tout d’en finir avec un déficit dont le comblement serait l’affaire de quelques minutes à peine si la possédance était enfin mise à (juste) contribution, mais bien, précisément, d’éviter, par de grotesques subterfuges où la presse acquise au marché trouve matière à d’infinies pâmoisons, que la possédance ne soit mise à (juste) contribution.

Naturellement: le burlesque big boss de Terra Nova présente ça comme un noble «souci d’équité intergénérationnelle» – le gars n’est tout de même pas si benêt qu’il se pointe en gueulant hands up , la vieille, je viens te piquer ta pension -, et narre, sans rire, que puisque désormais «le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs» , et que puisque désormais «la retraite moyenne d’un homme est supérieure au salaire d’un homme: 1.617 euros contre 1.613 euros» , qu’est-ce qu’on attend, bordel, pour taxer le privilégié septuagénaire à qui l’État donne tous les mois une opulentissime rente de 1.617 euros, plutôt qu’un gars comme, disons, Denis Olivennes, patron du Nouvel Observateur , qui a quitté Canal + avec à peine trois virgule deux misérables millions d’euros[^4]?

Non moins naturellement, le burlesque big boss de Terra Nova, dont nul(le) ne saurait sans déchoir prétendre que sa fibre sociale n’est pas des plus trophiées, convient qu’ «il y a des retraités pauvres» – à ne pas confondre, donc, avec les retraités riches qui tous les mois se gavent, au terme d’une vie de labeur, de 1.617 euros en «moyenne» , façon gros sybarites.

Mais c’est pour aussitôt faire valoir que ces retraités pauvres «sont moins nombreux que les actifs pauvres» , et que «la collectivité les traite mieux» , puisqu’elle accorde «708 euros pour le minimum vieillesse» – tant de munificence révolte – contre « 460 euros pour le RSA, soit 50 % de mieux» [^5].

Dès lors, je voudrais faire ici, pour finir et avec, tout de même, un peu de solennité (c’est pas tous les jours que je sauve des gueux de leur misère), ma proposition la plus iconoclaste: je crois qu’il n’est que temps que les retraité(e)s pauvres, enfin rendu(e)s aux nécessités de l’ «équité intergénérationnelle» , prennent toute leur part, dans le financement du RSA – merde alors, 708 euros par mois quand tant d’actifs zonent chez Lidl, vous n’avez pas honte, vieillard(e)s iniques?

[^2]: Dans la vraie vie, naturellement, «Terra Nova, la “boîte à idées” qui se prend pour un think tank» , n’est pas du tout de gauche: il s’agit plutôt de l’un de ces (barbichus) recoins, dûment sponsorisés par le néo-libéralisme, où se fabrique la soumission à l’idée qu’il faut «admettre enfin que le socialisme français est devenu réformiste, et qu’il se déploie dans le cadre de l’économie de marché» – dont nos ami(e)s les Grec(que)s témoignent ces temps-ci qu’elle fait un horizon terriblement radieux.

[^3]: Où s’opposent d’une part les partisan(e)s, rassemblé(e)s autour de l’Union pour un mouvement populaire, d’une prompte réforme des retraites, et d’autre part les partisan(e)s, groupé(e)s autour du Parti «socialiste» (rires), d’une prompte réforme des retraites – sous le bienveillant regard d’une presse dominante qui serait plutôt partisane, quant à elle, d’une prompte réforme des retraites.

[^4]: Partisan de la double peine, le burlesque big boss de Terra Nova prône, également, «l’allongement de la durée de cotisation» : lorsque vient le moment de guerroyer contre l’inégalité, n’est-ce pas, deux précautions valent qu’une, tu les auras.

[^5]: Message personnel. Heureusement qu’il y a Franz qui suit: les autres, franchement, je ne vous félicite pas.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don