« Tournée » de Mathieu Amalric ; « Robin des bois » de Ridley Scott

Christophe Kantcheff  • 13 mai 2010
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« Tournée » de Mathieu Amalric ; « Robin des bois » de Ridley Scott

On a failli ne pas retrouver Cannes. Enfin, le Cannes du festival, tout lisse, tout en ordre, tout pimpant. Les habitants n’avaient pas vu ça depuis des lustres… Une tempête au mois de mai (le 4 exactement), et quelle tempête ! Ici, les esprits les plus avisés disent que la mer a simplement voulu reprendre sa place, reconquérir un espace qui était le sien il y a deux ou trois décennies, occupé, depuis, par du béton et du bitume. On a à peu près tout reconstruit en quelques jours ; enfin, tout ce qui est en toc, comme les paillottes sur les plages de la Croisette. Pour que les fêtes se déroulent normalement. C’est qu’on a le sens de ce qui est prioritaire, ici.

Illustration - « Tournée » de Mathieu Amalric ; « Robin des bois » de Ridley Scott

Comme la plupart de mes confrères, je n’étais pas à Cannes lors du ras-de-marée. Mais j’ai quand même une petite idée de l’effet que cela a pu produire, maintenant que j’ai vu ce matin le film d’ouverture du festival, Robin des bois , signé Ridley Scott. Le truc que vous voyez arriver devant vous, gros comme une maison (ou même comme un immeuble avec plein d’affiches du film collées dessus, ou des portraits de Russel Crowe, Cate Blanchett, les vedettes du casting), et qui vous tombe dessus comme le ciel sur la tête : ça rentre dans les yeux, les oreilles, partout, ça vous remue dans tous les sens, et puis, au bout de 2H20 (quand même !), le truc se retire pour s’évanouir à jamais.

J’en suis ressorti un peu fatigué. Et avec la curieuse sensation que Cannes s’était transformée pendant la projection en un paisible village, l’impression totalement insolite de me retrouver– un exemple au hasard – à Fontenouilles, dans l’Yonne. En fait, je n’entendais plus rien ! Le tsunami Robin des bois , et sa bande-son subtile comme un concert de Métallica à Bercy, avait eu raison de mes tympans. Passagèrement, heureusement. Mais il a bien fallu plusieurs minutes avant que le bruit des klaxons et des moteurs de 4×4 dans les rues de Cannes me reviennent aux oreilles, tel un doux murmure…

Que dire de plus à propos de ce film tout en épure ? Le reste est déjà dans les gazettes…

La compétition commence avec un film très réjouissant ! Tournée , de Mathieu Amalric, qui joue pour la première fois dans son propre film (son quatrième, après Mange ta soupe , le Stade de Wimbledon et la Chose publique ) . Il s’y est fait une dégaine de petit souteneur entre deux âges, qui pourrait sortir d’un film d’Abel Ferrara. Pas un hasard, bien sûr, parce que son film est à la croisée des cultures française et américaine. On y suit une troupe d’effeuilleuses venus des Etats-Unis, dénommée « le New Burlesque », qu’un producteur français, Joachim Zand (interprété par Mathieu Amalric, donc), de retour dans son pays, fait tourner dans l’hexagone.

Illustration - « Tournée » de Mathieu Amalric ; « Robin des bois » de Ridley Scott

« Le New Burlesque » est en fait un genre du music-hall américain, qui ne relève pas du simple streap-tease. Les numéros de cabaret que réalisent ces filles (Mimi le Meaux, Kitten on the Keys, Dirty Martini, Julie Atlas Muz, Evie Lovelle…) pour la plupart bien en chair, presque felliniennes, et pas forcément toute jeunes, relèvent d’une vraie chorégraphie, sont toujours drôles ou piquants, et dotés d’une bonne dose d’humour.

Tout est un peu décalé dans ce film : ces femmes, belles parce qu’épanouies, libres, et sachant maintenir ensemble une joie de vivre, qui découvrent, d’hôtels en théâtres, la France de la province côtière (le Havre, la Rochelle…) ; Joachim Zand, souvent tendu, nerveux, mais admiratif de ces femmes qu’il cherche à protéger tout en étant incapable lui-même de parer les coups auxquels il s’expose, parti de France et pas vraiment de retour, et dans l’impuissance de trouver un théâtre à Paris pour sa troupe ; l’humour, très présent, qui donne à Tournée une légèreté d’un type inhabituel dans le cinéma français, légèreté qui caractérise aussi la mise en scène, rapide comme chez Cassavetes, fluide comme chez Ophüls…

Tournée est un beau film sur les exigences de la vie vouée au spectacle, mais aussi sur les échappées fortuites qu’offre celle-ci, sur un collectif de femmes indépendantes, et sur un homme qui se libère peu à peu de son passé.

Illustration - « Tournée » de Mathieu Amalric ; « Robin des bois » de Ridley Scott

La bande- annonce du film :

Temps de lecture : 4 minutes
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