Baskets, banderoles et citoyenneté

Chaque semaine pendant la Coupe
du monde, un regard différent sur le foot. Aujourd’hui, le club Espérance sportive parisienne.

Ingrid Merckx  • 24 juin 2010 abonné·es

« Prenez vos baskets, y’a entraînement ! » , avait invité Robert Weinberger. « Président » , comme on l’appelle à l’Espérance sportive parisienne, club de foot d’un millier d’adhérents dans le XVIIIe arrondissement de Paris, entre le périphérique et les puces de Clignancourt. Une marque de déférence envers celui qui règne toujours sur le club qu’il a fondé en 1963, tout jeune prof de lettres. « Voici le nouveau règlement de la Fédération française de foot [FFF] », attaque le maître, entre deux citations, une blague pour capter l’auditoire et une question pour le secouer. « La France n’a pas bien joué. Vous avez regardé, j’espère ? Sinon : je baisse la note… Voyez ce que les joueurs mineurs doivent fournir pour une première demande de licence. » Justificatifs d’identité et de nationalité des parents, du lien de filiation, de résidence des parents et, surtout, attestation de présence en France lors des cinq années précédentes.

« Un document qui n’existe pas et que la FFF n’a pas le droit de réclamer, tempête-t-il, entre un rendez-vous à ce sujet à la Ligue des droits de l’homme et un autre avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Elle s’était engagée à modifier ses règlements pour la prochaine saison, mais rien n’a changé ! » Depuis novembre, Robert Weinberger est en pétard contre la « fédé », qui, au motif de la lutte contre les trafics de joueurs, met sur la touche des jeunes étrangers ou d’origine étrangère engagés dans une pratique de loisir (voir Politis n° 1095). « Bonjour mon grand ! » , glisse-t-il à chacun des gamins qui vient retirer une fiche d’inscription. Pas un ne manque de serrer la pince à chacune des personnes présentes. Dehors, sur les deux terrains du stade des Poissonniers, au pied des tours, l’entraînement a dû commencer. Mais, dans le petit local du club, où trois, quatre tables se font face surmontées des trophées de l’année, on parle moins ballon qu’éducation.

L’ES parisienne est un bon club – il envoie régulièrement des joueurs en « clubs pro ». Ce ne sont pourtant ni ses résultats, ni les derniers exploits des « U19 » ou des « U15 », ni sa bonne ambiance que ses dirigeants mettent en avant. Mais son conseil de jeunes, son programme de réussite solidaire, ses 200 adhérents action-prévention, ses permanences d’été, son rôle dans le quartier… «  On est bons parce qu’on est dans un quartier populaire, déclare Willy, vice-président de 32 ans et joueur senior. Les jeunes n’ont pas de cours de violon, ils misent sur le foot. » L’ES parisienne « prend tout le monde ». « Notre plus jeune joueur a 3 ans et demi, mais il est costaud ! Certains arrivent en disant : “J’ai pas de papiers, je peux jouer ?” On leur répond qu’on n’est pas la préfecture… On a deux équipes “seniors” et trois “vétérans” », liste Willy. On est loin du discours sur les jeunes des cités et sur les encadrants dépassés dans ce club où la citoyenneté fait partie des fondamentaux. « Je n’ai jamais eu de problème avec un joueur ni avec un élève », affirme le président. « Il nous faisait la misère, on en a fait, des tours de terrain, se souvient Willy, qui l’a eu comme coach. Il était dur mais il était “avec nous”, il n’a jamais exercé son autorité de l’extérieur. Quand j’embauche quelqu’un, je ne lui dis pas “tu bosses pour moi” mais “tu bosses avec moi”, ça induit d’autres rapports. »

Une dizaine de joueurs du club ont trouvé un poste dans sa boîte de courses via le programme « réussite solidaire », qui les aide à trouver stage, formation ou travail. En échange de quoi, ils deviennent « ressource » à leur tour. Idem pour le coaching. «  Les joueurs coachent les plus petits, tout le monde se connaît, un joueur qui débarque accepte les règles du groupe ou s’en va… Ça marche comme ça. Mais il ne faut pas croire : la plupart sont éduqués au respect, dit simplement Willy. C’est quand les populations sont trop concentrées et quand les gens sont mal considérés que les situations dégénèrent. Certains de nos joueurs ont pété les plombs en arrivant dans de grands clubs parce qu’on les traitait mal. » L’éducation ne fait pas tout, mais elle « met sur le bon rail », assure Robert Weinberger. Sur le mur, une équipe de filles s’affiche avec le maillot rouge et noir du club : « On n’a plus d’équipe féminine, c’est dommage, d’autant qu’elles venaient toutes de milieux assez fermés. » Une autre photo montre une équipe portant une banderole « Non au racisme ! ». Ce n’était pas pour une occasion particulière : ils la sortent à chaque match.

Société
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