Identité extrême

« Pluie de juin »
est un superbe
roman pluriel,
qui joint
la violence
et l’absurde.

Christophe Kantcheff  • 24 juin 2010 abonné·es

Dans Pluie de juin , l’écrivain libanais Jabbour Douaihy fait preuve des mêmes qualités que dans Rose Fountain Motel , publié l’an dernier par les mêmes éditions Actes Sud (voir Politis du 7 mai 2009), mais avec plus d’ampleur encore. Jabbour Douaihy a un talent inouï pour mettre en scène des groupes, pour donner le sentiment d’une collectivité agissante tout en en faisant ressortir des individualités. Ici, le romancier le fait à l’échelle d’un village. Sa technique est de n’en rien laisser paraître. Pas de simultanéisme, par exemple (façon Dos Passos), mais une écriture qui fait appel à tous les modes de récit possibles, subjectifs, objectivants, à toutes les tonalités, à travers de nombreux personnages, dont quelques-uns seulement sont récurrents, une écriture que l’on pourrait qualifier de postmoderne si le terme n’était pas si déprécié.

Pour faire littérature de l’épisode réel qui eut lieu dans l’église d’un village du Nord-Liban en juin 1957, Jabbour Douaihy a stylisé la situation : deux familles se font face ici, les as-Semani et les al-Rami, dans un affrontement sans merci dont les raisons initiales n’importent plus guère. Si ces luttes claniques rappellent celles qu’on peut trouver en Corse ou dans la mafia (le Parrain, le film de Coppola, est d’ailleurs explicitement cité), avec leur cruauté et l’implacable loi du talion, elles ont aussi une dimension ­cloche­merle parfaitement absurde : «  Ce n’est pas à quelques kilomètres du village que commence le territoire de l’étrangeté, mais à quelques centaines de mètres à peine, là où les vergers du premier village se confondent avec les nôtres ».
Jabbour Douaihy joue avec dextérité de ces deux sentiments contradictoires qui finissent par se rejoindre : l’irrationalité de la violence et le pathétique un peu ridicule des protagonistes. Il y a en effet de la tendresse ironique dans le regard que l’écrivain pose sur ses personnages, responsables autant que victimes d’un cercle vicieux destructeur dont ils sont incapables de sortir.

Pluie de juin est un roman sur l’identité, celle qui isole, sépare, exclut, celle que l’on revendique aveuglément, mais aussi celle qui est assignée, à laquelle on ne peut échapper. De ce point de vue, la portée du roman est universelle. Le fruit de cette situation s’appelle Elya, le personnage principal, fils d’un des tués dans l’église – qu’il n’a jamais connu –, et qui cherche à reconstituer le drame. Le problème d’Elya, c’est qu’il ne parvient pas à savoir qui il est. Il est « une œuvre ­inachevée ». Le fanatisme identitaire débouche sur une perte d’identité.

Culture
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