Le gouvernement au pied du mur

Les syndicats et associations soutenant les travailleurs sans papiers ont présenté un document établissant des conditions de régularisation. Mais les ministères concernés sont empêtrés dans leurs contradictions.

Blandine Le Cain  • 17 juin 2010 abonné·es
Le gouvernement au pied du mur
© PHOTO: MEDINA/AFP

Une journée à peine après avoir été évacués par les forces de l’ordre, les 160 salariés sans papiers sont revenus, jeudi 3 juin, occuper les marches de l’opéra Bastille à Paris. Installés sur le parvis du bâtiment depuis le 27 mai, ces travailleurs en grève ont ainsi réaffirmé leur détermination à obtenir une réponse du gouvernement sur les critères de régularisation. Mais l’attitude de ce dernier est pour le moins ambiguë. L’évacuation musclée, qui s’est soldée par une quarantaine d’interpellations, a eu lieu au lendemain d’une rencontre des onze associations et syndicats soutenant ce mouvement [^2] avec la direction générale du Travail, un des services du ministère d’Éric Woerth. « Nous étions réellement dans un travail constructif : comment envisager une procédure de régularisation pour des travailleurs sans papiers qui travaillent au noir. Et aujourd’hui on nous envoie les CRS, c’est un peu particulier comme technique », s’étonne Raymond Chauveau, coordinateur du mouvement des sans-papiers au sein de la CGT.

En grève depuis octobre 2009, des milliers de salariés sans papiers veulent une clarification et une uniformisation des critères de régularisation. Avec l’aide des organisations syndicales et associatives, ils ont obtenu une avancée significative : une « approche commune » de représentants patronaux et de syndicats sur la régularisation des travailleurs sans papiers. Ce document présenté en mars au ministère du Travail, signé par la CGPME, Ethic (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance), le Syndicat national des activités du déchet, Veolia Propreté et les syndicats (CFDT, CGT, FSU, Unsa et Union syndicale Solidaires), laissait entrevoir un accord possible avec le gouvernement. Surtout, la volonté « d’établir les conditions précises et objectives d’obtention d’autorisation de travail et de séjour correspondant » et l’appel aux « différents acteurs du monde de l’entreprise à rejoindre cette démarche » ont rallié une partie du patronat aux revendications du Groupe des onze et les responsables des partis de gauche, dont la Première secrétaire du PS, Martine Aubry. Mais pas les ministères du Travail et de l’Immigration. Éric Woerth a certes déclaré ses services « disponibles » pour discuter du travail illégal dans une lettre datée du 20 avril adressée aux syndicats. Mais les représentants du gouvernement n’ont pris aucun engagement lors des réunions des 14 et 20 mai. Syndicats et associations accusent le gouvernement de repousser les échéances en réclamant aux départements un bilan de la circulaire de novembre 2009, qui durcit la possibilité de régulariser des travailleurs sans papiers en exigeant de nouvelles conditions. Ce bilan, normalement déjà établi car inclus dans la circulaire, ne vise qu’à « retarder le plus possible les échéances, quitte à laisser faire, voire à protéger ceux qui veulent que le business et la surexploitation des travailleurs sans papiers continuent », dénonce le Groupe des onze.

Le gouvernement est désormais empêtré dans une posture idéologique de stigmatisation des sans-papiers et de lutte contre l’immigration, contradictoire avec la demande des partenaires sociaux. « Ses membres sont certainement partagés sur l’attitude à avoir, d’où certaines incohérences » , constate Maurice Amzallag, délégué CGT. Comptant sur l’essoufflement des grèves, Éric Besson a jusqu’à présent défendu une attitude répressive. Mais Maurice Amzallag est confiant : « Les négociations progressent. Ils sont obligés de tenir compte du fait que le mouvement tient bon. » Les syndicats espèrent ainsi qu’un texte juridique voie le jour après la rencontre du 18 juin entre représentants du gouvernement et syndicats.

Reste qu’après huit mois de grève acharnée pour la régularisation des travailleurs sans papiers, le mouvement a pris un nouveau tournant depuis l’occupation des marches de l’opéra Bastille. Malgré l’optimisme des syndicats, certaines inquiétudes demeurent, comme l’explique Jean-Claude Amara, porte-parole de l’association Droits devant !! : « Le risque, c’est que le gouvernement s’en sorte a minima, avec des critères de régularisation qui écartent la majorité des travailleurs sans papiers, comme ceux qui travaillent au noir, par exemple. » Et, place de la Bastille, nombre de personnes sont dans cette situation. Et veulent en sortir.

[^2]: Le Groupe des onze : CGT, CFDT, FSU, Unsa, Union syndicale Solidaires, Ligue des droits de l’homme, RESF, Droits devant !!, Cimade, Autremonde, Femmes Égalité.

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