Le triomphe des indépendantistes

Avec le score historique de la Nouvelle Alliance flamande aux législatives de dimanche, la menace d’une implosion de la Belgique se précise.

Snejana Jovanovic  • 17 juin 2010 abonné·es
Le triomphe des indépendantistes
© PHOTO: WAEM/AFP

«Yes, we can ! » La salle applaudit à tout rompre, tape des pieds, crie de joie, entonne à pleins poumons le « Vlaams Leeuw », l’hymne de la communauté flamande. C’était au Capitole, à Gand, ville de Flandre, en Belgique, le dernier meeting des nationalistes flamands, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), avant les élections fédérales anticipées du 13 juin. Bart De Wever, le chef de file du parti, se tenait, ému, devant cette foule en délire qui brandissait des panneaux « Changer maintenant » et criait « Bart ! Bart ! Bart ! » à perdre haleine. En toile de fond, sur la scène, était projeté le drapeau bleu européen avec ses douze étoiles dorées. L’une d’elles a été remplacée par le lion de sable noir du drapeau de la Flandre.
« Le message est clair, précisait Bart De Wever, l’indépendance de la ­Flandre sera une indépendance dans l’Europe, pas une indépendance totale. Il y a des compétences comme la défense, par exemple, qu’il ne faut jamais scinder parce qu’elles nécessitent une envergure européenne. » Depuis dimanche, cette profession de foi tend à devenir réalité. La N-VA a finalement recueilli 28,3 % des suffrages en Flandre néerlandophone. Un score sans précédent. Au total, les trois formations qui prônent l’indépendance totalisent près de 45 % [^2]. « Pour moi ce n’est pas important d’être Premier ministre. Ce qui compte, c’est de réaliser le programme de notre parti. Si c’est mieux d’offrir ce poste à un francophone pour réaliser notre programme, je le ferai avec plaisir ! » , avait annoncé De Wever à la veille du scrutin. Ce qu’il a confirmé dimanche. De fait, il est probable que le futur Premier ministre belge sera issu du Parti socialiste francophone d’Elio Di Rupo, qui a obtenu 36,5 % des voix en Wallonie et à Bruxelles.

Cette percée de la N-VA ne surprend pas Michel Quévit, expert en développement des régions auprès de l’Union européenne. Selon lui, « l’explication est historique » et s’inscrit « dans la mouvance nationalitaire des Flamands » . C’est-à-dire « la dynamique de constitution d’une entité territoriale autonome dans un État-nation. Elle n’exalte pas les sentiments ­d’appartenance à une race ou à une ethnie. Elle se nourrit du terreau de l’identité linguistique et culturelle liée au territoire, mais sa visée est politique. Elle exprime la volonté de posséder des institutions permettant de se gouverner soi-même ».

Cette mouvance trouve sa source à la création de la Belgique en 1830. Les Flamands, alors pauvres, étaient dominés par une bourgeoisie francophone qui imposa le français comme langue véhiculaire et officielle. Dès l’origine, indique Jean Faniel, politologue au Centre de recherche et d’information sociopolitique, « cela a entraîné un mouvement qui s’est constitué pour obtenir des droits pour les Flamands » , notamment « l’égalité entre les langues en Belgique » . De ce courant découle, à partir du milieu des années 1950, la Volksunie. Un parti « difficile à saisir » , estime Pascal Delwit, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles. « À l’étranger, on le présentait comme un parti nationaliste d’extrême droite. C’était faux ! C’était un parti nationaliste avec une aile très à droite flirtant avec l’extrême droite, et une aile à gauche » . Jean Faniel complète : « Certains membres de la Volksunie avaient collaboré avec l’occupant nazi. » La N-VA est née de l’explosion de la Volksunie en 2001. Le parti se dit nationaliste démocratique de droite. Il n’empêche « qu’il y a eu des propos à connotation xénophobe à l’endroit des francophones dans la période 2003-2006, pour lesquels De Wever s’est excusé, rappelle Pascal Delwit. Ça n’a rien à voir avec le Vlaams Belang [parti d’extrême droite flamand xénophobe et raciste, NDLR]. »

Cela dit, la question de la survie de la Belgique se pose depuis le début de cette campagne où les tensions communautaires triomphent. Michel Quévit nuance : « Un des enjeux de cette campagne, c’est la fin de la Belgique, mais ce n’est pas pour ça que ce sera la fin de la Belgique. Tout dépendra du comportement des francophones. » Néanmoins, lorsqu’on demande à Geert Bourgeois, fondateur de la N-VA, s’il se sent belge, il répond tout de go : « Non ! Moi, je n’ai pas le sentiment d’être belge, pas du tout. Je me sens flamand, européen et citoyen du monde. J’ai le plus grand respect pour les francophones. Je veux vivre avec eux. Mais je constate de plus en plus que je ne me sens plus lié à la Belgique parce que cette construction ne fonctionne plus. »

Cette idée que la Belgique est devenue ingérable est la raison principale pour laquelle la N-VA revendique une profonde réforme de l’État belge afin d’aboutir à une confédération dans un premier temps et, à terme, à l’indépendance. Et Bart De Wever de marteler ces mots : « La gestion de ce pays est très difficile, voire impossible. On doit l’adapter à une situation qui existe déjà en réalité. Nous parlons d’une évolution, jamais d’une révolution, mais bloquer cette évolution, ça va créer une situation révolutionnaire ! »

[^2]: Avec N-VA (28,3 %), il faut prendre en compte le mouvement d’extrême droite Vlaams Belang (12,7 %), et les populistes de la Liste Dedecker (3,7 %).

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