Chroniques du temps de la stigmatisation

Le collectif Cette France-là revient sur l’année écoulée en matière de politique d’immigration. Et rend compte de la fuite en avant opérée
par le gouvernement.

Clémence Glon  • 8 juillet 2010 abonné·es

Archiver pour mieux dénoncer. Pour que les gens se souviennent de cette époque-là, quand le président de la République s’appelait Nicolas Sarkozy. Une ère non encore achevée qui a débuté le 16 mai 2007. L’histoire est malléable, et le collectif Cette France-là l’a bien compris. En publiant un livre par année, le collectif créé en décembre 2007 et composé de militants associatifs, de philosophes, de sociologues ou encore de juristes s’engage à constituer un fonds riche sur la politique d’immigration du mandat Sarkozy. Le deuxième des cinq opus prévus est paru il y a peu. Un travail de longue haleine autant factuel qu’analytique. Dans ce « volume des chroniques annuelles du quinquennat présidentiel » , la trentaine d’auteurs décryptent les méthodes employées par le gouvernement et les discours prononcés par ses représentants. Les dérives,
les invraisemblances, « l’absurdité de contradictions » sont relevées afin de démontrer que « le problème, ce n’est pas l’immigration elle-même mais la politique d’immigration que nos gouvernants mènent ». Des portraits de personnes sans papiers mais également de préfets témoignent de manière concrète des actions du nouveau ministre de l’Immigration, Éric Besson. Succédant à Brice Hortefeux en janvier 2009, l’ancien député socialiste orchestre la politique d’immigration du pays en se distinguant par sa volonté d’aller toujours plus loin.

Éric Besson est un «homme qui n’a pas peur de se confronter à la réalité du terrain » puisque, une dizaine de jours après la prise de ses fonctions, il se rend à Calais, alors que son prédécesseur avait décliné cinq fois les invitations des associations locales. Plus encore, il déroge « au programme de la journée afin de se rendre dans la “jungle” pour constater par lui-même la situation des exilés ». Le nouveau ministre prend donc à bras-le-corps sa noble mission de lutter contre la « traite des êtres humains » organisée par les filières de passeurs.

« La trouvaille d’Éric Besson consiste à magnifier ce thème en le martelant sans cesse et, surtout, à désigner les migrants comme victimes, à l’exclusion de toute autre qualification. » Les mots sont choisis afin que « nous imaginions la jungle de Calais comme appartenant à une organisation criminelle transnationale dont les bras pénètrent profondément notre pays ». Les amalgames emplissent ses discours et donnent une approche grossière de la situation. Les migrants du Calaisis sont assimilés à des malheureux forcés de résider dans les bois. Pourtant, un rapport de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) rappelle que les exilés « sont majoritairement issus des classes moyennes, ont étudié et parlent l’anglais ». Conflits internes, régimes dictatoriaux, persécutions liées à des activités politiques ou ethniques poussent à l’exil, bien plus que la simple pauvreté. La vision manichéenne de l’immigration clandestine « forme le regard de l’opinion, ou en tout cas celui des médias, en proposant un système d’explication simple, moral, complet, où les rôles sont convenablement distribués, qui désigne une cible acceptable et exhibe sans cesse la lutte menée à son encontre ».

Un autre domaine dans lequel innove Éric Besson est celui de la dénonciation. Si le procédé est utilisé dès novembre 2007 à Villiers-le-Bel après des affrontements dans la ville, le ministre de l’Immigration s’en empare dans son travail. Après les prostituées appelées à dénoncer leur proxénète, c’est au tour des étrangers en situation irrégulière de dénoncer leurs passeurs. Avec pour carotte un titre de séjour vie privée et familiale de six mois minimum et, en cas de prise, une carte de résident de dix ans. Ou comment faire miroiter du rêve pour arriver à ses fins. L’acte de dénonciation évoque bien une certaine époque, mais Frédéric Lefebvre se charge de remettre à leur place les détracteurs d’un tel procédé. « Si la délation est condamnable car elle se fait aux détriments de gens honnêtes, la dénonciation est un devoir républicain prévu dans la loi et permettant de lutter contre les délinquants » , écrit-il dans un communiqué daté du 7 février 2009. Aucune raison, donc, de crier au scandale. Pourtant, les récits rapportés dans le deuxième volume de Cette France-là interrogent sur la nature des « délinquants » cités par le porte-parole de l’UMP. Alors que l’appel à la dénonciation s’adresse à l’origine aux sans-papiers, certains citoyens effectuent scrupuleusement ce « devoir républicain ».

En septembre 2009, Moussa se rend chez Bouygues Telecom pour échanger ses points fidélité contre un nouveau téléphone portable. Il lui est demandé sa carte d’identité, et Moussa, en situation irrégulière, présente un faux document. Prétextant une panne informatique, le vendeur le fait patienter jusqu’à l’arrivée de la police. Après vingt-quatre heures de garde à vue, Moussa est conduit en centre de rétention. Il sera relâché deux jours plus tard. Un zèle qui en dit long sur les effets de la stigmatisation des sans-papiers et qui n’est pas un cas isolé. La densité d’exemples similaires recueillis donne à l’ouvrage une force particulière et rend compte d’une ambiance, d’un état dans lequel la France est plongée depuis que se déploie cette politique de l’exclusion.

« Si la crise fait ressortir le spectre d’un protectionnisme digne des années 1930, ceux qui s’en inquiètent aujourd’hui auraient tort d’oublier comment la xénophobie le suivait alors comme son ombre », prévenait le collectif Cette France-là dans une lettre adressée à chaque membre du gouvernement lors de la sortie du premier ouvrage. Or, quand François Fillon répond finalement au courrier pour conjurer les inquiétudes, Éric Besson lance de son côté, en octobre 2009, son grand débat sur l’identité nationale… Encore un exemple du discours biaisé du gouvernement pour tenter de masquer la stigmatisation produite par sa politique d’immigration.

Idées
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