En descendant le Mékong

Le « Fleuve turbulent » est lui-même un grand voyageur, qui traverse pas moins de six pays. Pour saisir toute sa beauté tourmentée, il faut le suivre lentement.

Denis Sieffert  • 22 juillet 2010 abonné·es

Les Thaïs l’appellent « Mère de tous les fleuves » (Maeh Khong), et les Chinois, « Fleuve turbulent ». Et lorsqu’on voyage aux pays du Mékong, l’allégorie est une tentation de tous les instants. Marguerite Duras n’y a pas résisté. Ce fleuve est un être vivant pour lequel on éprouve rapidement un étrange sentiment de familiarité. Que l’on vienne à s’en éloigner pour une nuit passée au cœur de la forêt laotienne et on s’ennuie déjà. Que l’on aperçoive de nouveau l’opacité de ses flots dans une trouée d’arbres au bout du chemin et ce sont des retrouvailles émues.

On aime le Mékong peut-être parce qu’il est lui-même un grand voyageur. Tombé des sommets de l’Himalaya, il traverse six pays : le Tibet, le Yunnan chinois, la Birmanie, le Laos, le Cambodge et le Vietnam, où il se dilate en un estuaire aux mille ramifications.

Il fait vivre des millions d’humains par les espèces de poisson dont il regorge, et parce qu’il est une merveilleuse autoroute depuis Huay Xai, quand il sépare la Thaïlande du Laos, jusqu’à la sublime ville impériale Luang Prabang. Il serpente au cœur d’une épaisse forêt et semble vertébrer tout le pays. Au Cambodge, il traverse Phnom Penh et alimente le lac Tonie Sap jusqu’au temple d’Angkor Vat. Et puis il y a son aspect. Cette couleur ocre – certains disent « rouge » – sans équivalent dans nos régions. Et ces remous qui fécondent l’imagination. Le Loch Ness n’a qu’a bien se tenir. Ici, les monstres surgissent et disparaissent à chaque méandre.

D’une terrasse en bois de rose de Pakbeng, en surplomb du fleuve, on ne se lasse pas du spectacle de ses tourments. C’est un écran fascinant pour le rêve. Le Mékong, il faut le descendre depuis le nord du Laos sur un bateau lent et admirer l’habileté du marinier contournant l’œil redoutable des tourbillons. Il existe des bateaux rapides, bateaux goujats. Avec le premier, vous voyagez de village en village. Avec les seconds, vous allez d’un point à un autre. Beaucoup plus au sud, près d’Hô Chi Minh-Ville, c’est le delta que décrivait Marguerite Duras : « Jamais de ma vie entière, je ne reverrai des fleuves aussi beaux que ceux-là, aussi grands, aussi sauvages. Le Mékong et ses bras qui descendent vers ces territoires d’eau qui vont aller disparaître dans les cavités des océans. » Un Mékong vigoureux et sensuel comme l’Amant… Hélas, le Mékong n’échappe pas aux périls de notre époque. Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, publié en 2009, mettait en garde contre les effets d’une industrialisation à marche forcée, dans le sud de la Chine, qui détruit les richesses naturelles du « Fleuve turbulent ».

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Voyager sans avion
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