Le héron et l’obus

« Par les sillons »,
de Vincent Fortemps, sillonne la Grande Guerre en silence et en poésie.

Marion Dumand  • 15 juillet 2010 abonné·es

d’abord, il y a comme un grand brouillard. Les taches grises et noires déroutent. D’un trait, un pont apparaît, vient une rive peut-être. Des hommes sont attablés. Puis apparaissent les casquettes, entre ouvriers et paysans. Les sillons d’un champ, le toit d’une usine, la forme d’un village. Silencieux, tous les indices convergent : ce récit n’est pas de notre temps. Duquel alors ? On peine à le dater. On observe. Un héron, un pêcheur sur une barque, une araignée tissant sa toile. Peu à peu, les hommes à casquette font place aux hommes en casque. La voilà alors qui surgit : la guerre, la Première, la Grande. Mais, avec Vincent Fortemps, les tranchées cèdent le pas aux sillons. Du moins ne les effacent-elles pas.

Loin de Tardi, sans l’effroi de corps tombés pêle-mêle, Par les sillons distille la guerre et le retour. Celui d’un homme – d’hommes ? – qui a porté, enterré un camarade. Mais il dessine aussi une permanence fragile. Celle de la terre, où est planté à son corps défendant un drapeau tricolore, une terre que n’a pu – et ce sera pour la guerre suivante – distordre un Pétain. La nature est là, et Vincent Fortemps s’attache à explorer le foisonnement d’une forêt. De son stylo lithographique, il travaille une plaque de rhodoïd pour faire sourdre les arbres de l’ombre. Son dessin est matière obscure, triturée, rayée, plus encore lorsque la tension latente éclate en plusieurs souffles. Le premier est explosion, nuage noir, déchiqueteuse, qui ne laisse des arbres que troncs calcinés. Le deuxième est tout en chaleur familière : c’est le retour de l’homme. Il ouvre la porte. Sur le feu, une marmite mijote. Il est chez lui.

Sort dans le jardin. Les plantes se dressent non loin de la palissade, et au milieu une femme se tient agenouillée. Elle tourne le visage, porte la main à sa bouche. Le décor est comme évanoui. Tout juste ce geste simple. L’attente, la surprise, la peur, le soulagement. Tout cela en un geste (et combien d’errances préalables). La brouette dans un coin, les plantes toujours dressées ; enfin, le couple s’enlace. L’homme est vivant. Pourtant, dans les sillons, une silhouette s’évanouit.
Haïku. Le mot a été employé pour évoquer le travail de Vincent Fortemps. Il sonne juste, à l’image de ses dernières planches. De son vélo, un homme tombe. La plume, les graines d’un pissenlit, des oiseaux sur la branche s’envolent.

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