Ne pas rater la marche turque

Le Forum social européen tient sa 6e édition à Istanbul. Il tentera d’apporter des réponses à la crise économique et sociale qui secoue l’Union, mais l’élan initial de ces mouvements semble affaibli.

Patrick Piro  • 1 juillet 2010 abonné·es
Ne pas rater la marche turque
© PHOTO : MORIN/AFP

Pas trop le moral, les altermondialistes, à l’ouverture du Forum social européen (FSE) d’Istanbul : ont-ils encore les moyens de faire pièce aux politiques libérales de l’Union ? Du 1er au 4 juillet, la ville turque accueille une 6e édition du FSE à la fois ambitieuse et cruciale. Ambitieuse, car le forum s’installe pour la première fois aux marges du continent, dans un pays au cœur de la poudrière palestinienne, de la crise du nucléaire iranien, et des revendications kurdes. Mais rencontre à risque, parce que les mouvements sociaux chercheront en terre ottomane à relancer le processus du FSE. On attend à Istanbul près de 10 000 participants, mais principalement des Turcs. Les Grecs, dont le pays est en pleine crise financière, seront très présents, mais le nombre d’organisations européennes sera en recul, et seulement 300 Français ont prévu de se déplacer.

Le mouvement altermondialiste européen n’est pas parvenu, à ce jour, à fomenter la grande force de propositions qui pèserait sur les politiques libérales de l’Union. Alors que les forums sociaux gagnent chaque année de nouveaux territoires, « la branche européenne en est devenue le parent pauvre » , constate Mathieu Colloghan, de la commission internationale des Alternatifs. La dernière édition, en 2008 à Malmö (Suède), n’avait suscité qu’un intérêt limité dans le pays. Explications connues : le manque de relais politiques (la gauche est affaiblie partout), de moyens (le budget du FSE d’Istanbul s’élève à 25 000 euros) ou de capacité pour les organisations à s’investir durablement dans des mobilisations à dimension européenne. « Pourtant, le FSE reste un rendez-vous unique par la diversité des mouvements qui y adhèrent », défend Sophie Zafari, du syndicat enseignant FSU, à l’unisson de représentants de mouvements sociaux français réunis début juin pour préparer leur participation au forum.

La rencontre est précédée de doutes. L’organisation a été contrôlée par des syndicats et des groupes proches de l’extrême gauche. « Des forces actives mais minoritaires », constate Bernard Dréano, président du Cedetim. Plusieurs mouvements ont ainsi été laissés de côté : les associations de soutien aux sans-papiers, les organisations populaires de quartiers, les luttes écologistes antibarrages, la riche « movida » culturelle stambouliote, etc. « Plus préoccupant : tout un pan de la social-démocratie en pointe sur le dialogue avec l’Arménie et contre le nationalisme n’apparaît pas… » , ajoute Bernard Dréano.

« Plus qu’un véritable forum, on pourrait assister à un rassemblement de réseaux » , estime Amélie Canonne, déléguée générale d’Attac France. Et souvent en marge du FSE, comme pour les mouvements de « sans » (No Vox), dont les importants « Gecekondu » (« sans-toit »), qui déclenchent des installations sauvages dans les quartiers, prévoit Annie Pourre, porte-parole de Droit au logement, qui prévient : « Ce serait une erreur de laisser la main aux seuls syndicats, au risque de se couper des organisations de base. » Les groupes féministes traditionnels turcs pourraient aussi afficher leurs dissensions avec la progressiste Marche mondiale des femmes, qui fera étape à Istanbul.
Dans la ville, la moindre manifestation s’accompagne d’une forte présence policière. « Des provocations ne sont pas à exclure, craint Bernard Dréano. Venues de l’extrême droite et des mouvements pro-Israël plus que du gouvernement, cependant. »

Mais si le forum ne dépasse pas l’addition de mobilisations sectorielles, c’est l’échec qui se profile, estime Pierre Khalfa, membre du conseil scientifique d’Attac : « Alors que l’Union traverse une crise profonde, sommes-nous capables de proposer une réponse commune ? C’est une question de crédibilité : il faut au moins sortir d’Istanbul avec une nouvelle initiative politique. » Qu’aucun processus ne prépare actuellement… « À défaut, avertit Annick Coupé, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, il faudra bien conclure à l’affaiblissement durable du processus. » Il est déjà patent : pour la première fois depuis 2002, aucun pays n’est candidat à l’organisation du prochain FSE.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier