Pas des champions, des élèves motivés

Chaque semaine pendant la Coupe du monde, un regard différent sur le foot. Aujourd’hui, le collège Camille-Claudel à Paris.

Ingrid Merckx  • 1 juillet 2010 abonné·es

Camille-Claudel est au pied des plus hautes tours du quartier chinois, porte de Choisy, à Paris. Même entrée que pour le gymnase et la maternelle mitoyenne, entre des terrasses de restaurants d’où s’échappent, ce jour-là, des senteurs de porc grillé à l’ail. Dans le hall, après la cour, une vitrine arbore coupes et photos. « Ce ne sont pas seulement des trophées de foot, mais aussi de tennis de table, un sport qui marche fort dans ce collège classé ZEP, où une bonne part des élèves est d’origine asiatique, et où l’on compte une vingtaine d’origines différentes » , entame David Delelis, un des professeurs d’EPS, initiateur de la « section sportive football » dans cet établissement. À ne pas confondre avec un « internat foot » ou une « classe foot ». Pour les « classes à projet », c’est l’établissement qui dégage une ou des heures pour l’activité. Dans le cadre d’une « section sportive », c’est le rectorat. « On a bataillé ferme pour la créer », souligne l’enseignant. Il a fallu persuader la hiérarchie : sur une quinzaine de sections sportives à Paris, trois déjà étaient dédiées au foot, dans le XIVe, le XIXe et le XXe, en partenariat avec le CA Paris, le Paris-Saint-Germain et le Paris FC. Il en manquait une dans le sud de la capitale, finalement montée avec le PUC (Paris université club), qui coentraîne.

Les élèves arrivent via leur club ou l’enseignant, qui « démarche » alentour. Ils sont recrutés sur dossier en fonction de leur motivation, de leurs résultats scolaires et de leur comportement : « On a une sorte de contrat : le foot fait partie des matières enseignées et évaluées ; s’ils ne travaillent pas les autres matières, ou se comportent mal, ils quittent la section. » Celle-ci compte 9 élèves en 6e, 10 en 5e, 6 en 4e. Pas encore de 3e, car elle n’existe que depuis trois ans et que les 4e ne poursuivront pas à la rentrée. « Le plus dur fut de convaincre en interne : les collègues ne voyaient pas l’intérêt d’une section foot, sport qui souffre d’une vilaine image en termes de comportement et de développement intellectuel… », grince David Delelis. Pour défendre l’idée que tous les « footeux » ne sont pas totalement décérébrés, « franchement, le PSG et l’équipe de France ne nous aident pas ! » Qui, pour « faire modèle »  ? La balle au pied depuis ses 6 ans, cet enseignant a passé trente ans dans le foot avant de tourner la page, écœuré par la machine à fric, l’esprit pourri, le racisme, l’exploitation… Il ne regarde plus un seul match, ni à la télé
– il n’en a pas – ni dans les cafés. Les désordres des Bleus en Afrique du Sud, outre quelques infos glanées sur Internet, ce sont les élèves qui les lui ont racontés.

« On va voir comment en tirer profit : sur les deux entraînements de deux heures hebdomadaires, on consacre une heure à des questions comme la main de Thierry Henry, le coup de boule de Zidane ; ils sont également formés à l’arbitrage pour les Jeunes Officiels. » Quatre 6e « black blanc beur » font irruption dans le local EPS, en nage. C’est l’heure du déjeuner, ils jouaient. « Ils arrivent parfois crevés à l’entraînement », ricane leur prof.

Tous rêvent de « passer pro ». Ils citent Evra, Henry, Ronaldo « le vrai », Drogba… « Pourtant, on leur dit bien qu’on n’est pas là pour former des champions ! » Un élève, déjà, a montré des « capacités » pour le haut niveau. « Mais l’objectif de la section, c’est les études. Proposer le foot en ZEP me paraît une évidence, une source de motivation pour toutes les matières. » Et d’expliquer comment les surfaces du terrain dessinent des distances fécondes pour des exercices de géométrie appliquée, ou comment l’instruction civique peut trouver matière à débat avec le comportement des supporters, idem pour le dopage en « SVT ». « Lui permettre de trouver un équilibre entre ses études et sa passion pour le football » , résume la présentation de la section à destination des parents. Qui propose : « Un encadrement pédagogique proche de l’enfant, attentif à son projet sportif, prêt à le soutenir en cas de difficultés. » C’est le périmètre du foot-passion, tel que David Delelis le pratique encore avec ses potes au bois de Vincennes. À des années lumières du foot-fric dont les élèves s’abreuvent à la télé. Un foot qui accompagne, quand l’autre jette.

Société
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