La rue ne battra pas en retraite

Alors que le projet de réforme porté par Éric Woerth doit être présenté à l’Assemblée nationale
le 7 septembre, une forte mobilisation s’exercera au même moment sous forme de grèves et de manifestations.

Thierry Brun  • 26 août 2010 abonné·es
La rue ne battra pas en retraite
© PHOTO : AFP

Chaude rentrée en perspective ! Déjà empêtré dans l’affaire Bettencourt, Éric Woerth, qui a la charge de mener à bien le projet de réforme des retraites, aura face à lui un front syndical uni, une opposition de gauche très remontée et un mouvement social qui s’est donné rendez-vous dès le 4 septembre. Avec en perspective une belle pagaille à la SNCF et en région parisienne : la totalité des fédérations syndicales de cheminots ont appelé les agents à manifester et à se mettre en grève le 7 septembre, et deux syndicats de la régie des transports parisiens (SUD-RATP et FO) seront en grève illimitée le 6 au soir. Avant, les mêmes organisations se mettront en jambe lors de la manifestation prévue le 4 septembre à l’appel d’une cinquantaine d’organisations et de partis de gauche contre la politique de sécurité du gouvernement. C’est donc sur fond de mobilisations dans la rue que le ministre du Travail devra défendre à l’Assemblée nationale l’une des réformes majeures de Nicolas Sarkozy, dès le 7 septembre, premier jour de la session extraordinaire du Parlement.

C’est « une rentrée qui va compter ! », pronostique la CGT, qui a fortement critiqué l’attitude du gouvernement et des parlementaires de l’UMP pendant la trêve estivale. Les députés ont en effet examiné fin juillet le texte lors d’une réunion de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, et « jamais une réforme d’une telle importance n’avait été traitée avec un tel mépris de la démocratie la plus élémentaire. C’est d’abord la démocratie sociale qui a été foulée aux pieds. C’est maintenant la démocratie politique » , a réagi la confédération.
Syndicats et partis de gauche ont pointé l’attitude de la majorité présidentielle et le rejet de tous les amendements qui contestaient le fond du projet de réforme, sous couvert de l’article 40 de la Constitution. Dans le même temps, Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée, n’a pas caché que les députés de la majorité ont gardé sous le coude un certain nombre d’amendements au projet de réforme, déjà qualifiés de très régressifs. Surtout, après quelques hésitations de FO et de la CFE-CGC, pour la première fois depuis un an, les syndicats afficheront leur unité contre la réforme des retraites en appelant à une nouvelle journée nationale de grèves et de manifestations le 7 septembre. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, favorable au retrait du projet gouvernemental, est très vite monté au créneau, et s’est dit « sûr » , le 14 août, que le mécontentement « s’exprimera fortement le 7 septembre ». La veille, les fonctionnaires de l’Éducation nationale se seront mis en grève, à la suite d’un appel du Snes-FSU, premier syndicat des collèges et lycées, pour protester contre « la gravité des attaques » dans l’Éducation et « en lien » avec l’appel intersyndical lancé contre le projet de réforme des retraites.

Les partis de gauche, qui sont aussi présents avec les syndicats et les associations dans un collectif national pour « faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites », initié par Attac et la Fondation Copernic [^2], ne sont pas en reste, et chacun y va de ses contre-propositions, de son appel et de sa pétition pour le maintien de la retraite à 60 ans. Le PS proclame désormais son attachement au « maintien de l’âge légal du départ à la retraite à 60 ans » , histoire de faire oublier la petite phrase de la Première secrétaire, Martine Aubry, qui, le 16 janvier, avait indiqué : « On doit aller, on va aller très certainement, vers 61 ou 62 ans. » De leur côté, PCF et Front de gauche ont multiplié les pétitions contre le projet gouvernemental, « véritable coup de poignard contre le modèle social français » . Et ils ont déposé en juin une proposition de loi « garantissant le financement du droit à la retraite à 60 ans ».

Mais le temps presse, et le rapport de force entamé contre le projet du gouvernement devra-t-il se contenter de la journée de mobilisation nationale du 7 ? Le gouvernement n’a pas bougé d’un iota lors de la précédente mobilisation du 24 juin, la plus forte de l’année selon les syndicats, qui ont avancé le chiffre de 2 millions de manifestants. Bien au contraire. Ainsi, fin juillet, la majorité présidentielle a fait bloc pour maintenir l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, qui passera de 60 à 62 ans entre 2011 et 2018 au rythme de quatre mois supplémentaires par génération. Et l’âge d’annulation de la décote (celui où l’on obtient une pension à taux plein quelle que soit la durée cotisée) sera lui aussi repoussé de 65 à 67 ans. Le gouvernement a un soutien de poids : ces derniers mois, la Commission européenne, l’OCDE et le Fonds monétaire international (FMI) ont implicitement accordé leur caution au projet de réforme français. Tous prônent aussi le recours accru aux régimes privés de retraite, et notamment aux fonds de pension. Reste à convaincre la population.

[^2]: Lire Retraites, l’heure de vérité, Attac et Fondation Copernic, éditions Syllepse, 2010.

Temps de lecture : 5 minutes