Au temps des apartheids

Une version sud-africaine de Show Boat, comédie musicale américaine
où se mêlent histoire
du spectacle et relations raciales.

Denis Constant-Martin  • 30 septembre 2010 abonné·es

En 1927, Jerome Kern, compositeur, Oscar Hammerstein II, écrivain, et Florenz Ziegfeld, producteur, ont déjà chacun une solide réputation. Cette année-là, ils s’unissent pour réaliser la première véritable comédie musicale américaine : Show Boat. S’inspirant des revues dont tous trois ont l’expérience, ils inventent un genre nouveau où les chansons se mêlent aux dialogues pour donner consistance à un écheveau d’intrigues entrelacées. Jerome Kern s’est enthousiasmé pour le roman d’Edna Ferber, une femme marquée par l’antisémitisme et le sexisme, qui, derrière la description de la vie à bord d’un bateau-­théâtre, évoque diverses formes d’ostracisme racial et social. Le compositeur demande à Oscar Hammerstein II d’adapter Show Boat pour la scène. Ils proposent leur projet à Florenz Ziegfeld, le grand maître des ­Follies. Ce dernier saisit tout le potentiel de cette nouvelle forme de théâtre musical, et Show Boat débute au Ziegfeld Theater de New York le 27 décembre 1927.

Le Cotton Blossom (fleur de coton) est un navire qui parcourt le Mississippi en s’arrêtant pour offrir aux habitants des villes riveraines un spectacle musical. On le voit d’abord à Natchez, à la fin des années 1880, puis, à l’acte II, à Chicago, lors de l’Exposition universelle de 1893, qui fut aussi le plus grand rassemblement de musiciens qu’aient jusqu’alors connu les États-Unis. À la fin, en 1927, le Cotton Blossom revient, identique à lui-même mais enchanté d’une nouvelle génération de comédiens. C’est l’histoire d’un voyage dans le temps et l’espace, à travers le spectacle populaire. Le personnage principal en est le Mississippi, qui relie le Sud et le Nord, qui offre une des voies de migration des terres de Jim Crow, où le racisme est institutionnalisé, vers des régions d’espérance, où le racisme est supposé moins virulent et les chances économiques meilleures. C’est sur ce fond de fleuve trait d’union que prennent sens les relations raciales. Le chœur des travailleurs noirs qui chantent la dureté de leur travail alors que les Blancs s’amusent, la complainte du vieux fleuve (« Ol’ Man River ») qui, muet, voit les ouvriers s’user en rêvant d’échapper au patron blanc soulignent l’absurdité des lois qui interdisent l’amour entre Julie et Steve, entre Blancs et Noirs.

Show Boat est un spectacle américain conçu au cours des années 1920, avec des intentions généreuses mais dans un langage que certains peuvent juger contestable. Aujourd’hui, constate Michael Williams, le directeur de l’Opéra du Cap, c’est une œuvre qui dit aussi quelque chose de l’expérience de l’Afrique du Sud. C’est pourquoi elle a été montée au Cap, avec une troupe locale en partie issue de la remarquable école d’opéra de l’Université du Cap. C’est cette production que nous propose le Châtelet, reprise forte de sens d’une œuvre singulièrement émouvante.

Culture
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