Des caméras pour quoi faire ?

Christine Tréguier  • 9 septembre 2010 abonné·es

On a appris début juillet que la concession pour seize ans et demi du marché public de la vidéosurveillance de Paris avait été attribué au tandem Ineo (filiale de GDF-Suez)/Citelum (filiale de Veolia). Il devance SFR/Thales/Sogetrel, Alcatel/RATP/Cegelec et Orange/ETDF/Fidepp. Première question : que viennent faire les deux poids lourds de l’énergie dans cette histoire ? En cherchant un peu, on s’aperçoit qu’Ineo affiche ses « expertises technologiques et opérationnelles acquises grâce à une longue expérience dans les secteurs militaires et de la sécurité civile ». Son credo : « la sécurité globale ». L’entreprise a sécurisé les plates-formes de La Poste et vidéoprotégé plusieurs municipalités. Citelum, spécialiste de l’éclairage public acquis par Veolia en 2002, propose de « faire de la ville une fédération d’espaces sûrs ». Depuis qu’Alliot-Marie a annoncé en 2007 son intention de tripler les caméras publiques en France, le tandem a un boulevard devant lui : après Grenoble et Nice, il empoche le marché parisien des « 1 000 caméras », devenues 1 300.

Seconde question : combien ça coûte ? Le Collectif démocratie et libertés (CDL), qui s’oppose à cette surveillance constante a fait ses calculs : 155 980 602 euros TTC au total (9 453 369 euros/an), soit 119 525 euros/caméra. « Ce budget est hors charge de personnels » , précise Hervé Morel, secrétaire des Verts Paris. « S’il s’agit de s’attaquer au problème de la petite délinquance, mieux vaudrait payer des effectifs de police de proximité que des gens qui regardent des caméras. C’est de la gesticulation. » Le rapport 2010 de la chambre des comptes de Rhône-Alpes abonde dans son sens : à Lyon, qui consacre 855 000 euros par an à la vidéosurveillance, « le nombre d’affaires pour lesquelles les enquêteurs ont recours aux images enregistrées est marginal, même si celles-ci sont parfois significatives ».

Alors, à qui rapportent les yeux de Big Brother ? Aux industriels de la sécurité et aux maîtres d’œuvre comme Ineo et consorts qui les font travailler, bien sûr. Mais aussi aux maires d’arrondissement, qui les réclament au gré des faits divers pour rassurer leur électorat. On se souvient de Rachida Dati, maire fraîchement élue du VIIe et garde des Sceaux, ordonnant publiquement à Delanoé de sécuriser son Champs-de-Mars, à la suite d’une bagarre entre des étudiants et une « bande » de jeunes. Et devinez quoi : le CDL, qui dresse la carte des nouvelles caméras, en a justement repéré une ou deux aux abords du Champs-de-Mars. Et une aussi devant le Fouquet’s, qui s’est depuis noyée dans son dôme. Dans sa précipitation à sécuriser ces lieux coupe-gorge de la capitale, la préfecture de Paris a également oublié d’apposer les panneaux légaux signalant aux passants qu’ils sont filmés.

Pour informer les Parisiens, le CDL et Souriez vous êtes filmés donnent rendez-vous le samedi 11 septembre à 14 h, place de la Garenne (M° Pernety) pour un jeu de piste explicatif dans le XIVe, puis plus tard pour un apéro collectif et un bal masqué animé par les Assedi’ch. Cette semaine aussi, la galerie l’Art de rien (48, rue d’Orsel, Paris XVIIIe) propose une exposition autour du thème « Big Brother is watching you » et visionnage de films à travers les yeux de caméras de surveillance.

Le programme du 11 septembre

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