Innover autrement

Christophe Bonneuil  et  Pierre-Henri Gouyon  • 2 septembre 2010 abonné·es

Quand Internet s’est développé outre-Atlantique avec sa puissance de création décentralisée, nos ingénieurs de France Télécom avaient tout misé sur un Minitel bien plus fermé et hiérarchique. Quand Microsoft s’est affirmé comme géant mondial de l’informatique, notre gouvernement a soutenu Thomson, champion industriel national, en faisant acheter des TO7 qui croupirent dans les écoles, au lieu de prioriser la recherche et l’innovation sur le logiciel libre, seul concurrent mondial d’Apple et de Microsoft. Aujourd’hui, face à la montée, à grands coups d’OGM et de brevets sur le vivant, d’un monopole mondial des firmes chimiques (Monsanto, DuPont et quelques autres) sur les semences et l’alimentation, faut-il croire qu’on va concurrencer ces géants avec « nos » OGM brevetés de l’Inra ou de Limagrain ?
La direction de l’Inra et le gouvernement défendent l’essai de vigne OGM arrachée à Colmar notamment au nom de la nécessité de « développer une capacité d’innovation
[sous-entendu, transgénique] en France » (Marion Guillou dans les Échos du 18 août). En termes de stratégie scientifique et de modèle d’innovation, n’y a-t-il pas meilleur usage de l’argent public pour la recherche que de développer des innovations génétiques monogéniques brevetées ?
Aujourd’hui, Monsanto et DuPont détiennent à eux deux plus de brevets sur les génomes végétaux que toutes les structures de recherche publique du monde réunies. Dans ces conditions, plutôt que faire la course avec les Microsoft des semences brevetées sur leur terrain, pourquoi ne pas mettre au moins la moitié des efforts de la recherche publique en génétique végétale sur une autre voie, qui s’apparente à celle du logiciel libre ? L’urgence environnementale est là ; tout comme les bases scientifiques et les partenaires, producteurs et citoyens passionnés de biodiversité cultivée prêts à se lancer dans mille réseaux participatifs décentralisés de sélection et de science citoyenne. Il ne manque que l’investissement de recherche publique. Saurons-nous, cette fois, prendre la voie de l’intelligence et de la durabilité en nous débarrassant des vieux démons de la technologie centralisée ?

  • Chercheur au CNRS et chercheur associé à l’Inra. 
    Dernier livre paru : Gènes, pouvoirs et profits, avec Frédéric Thomas, éd. Quae-FPH, 2009.

** Professeur au Muséum national d’histoire naturelle.
Livre à paraître : Aux origines de l’environnement, Fayard, octobre  2010.

Publié dans le dossier
La gauche face à ses responsabilités
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