La colonisation à quitte ou double

Selon toute vraisemblance, Israël mettra fin dimanche au gel de la colonisation, et les États-Unis ne devraient guère faire preuve de fermeté. Une situation délicate pour l’Autorité palestinienne.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 23 septembre 2010 abonné·es
La colonisation à quitte ou double
© PHOTO : SAMAD/AFP

Le gel officiel des constructions israéliennes en Cisjordanie prend fin dimanche. Nous posons ici quelques questions pour l’avenir.

Que fera Israël le 26 septembre ?
Selon toute vraisemblance et contrairement aux espoirs américains, Israël ne prolongera pas le gel de la construction dans les colonies. Un haut responsable israélien a ainsi confirmé vendredi 17 septembre que « le Premier ministre n’[avait] pas changé de position sur cette question ». Benyamin Nétanyahou spécule sur le fait que Mahmoud Abbas ne pourra pas, de toute façon, ­rompre la négociation. Car négocier est bien le seul véritable objectif d’Israël : il s’agit toujours et encore de gagner du temps. « Nous ne gèlerons pas la construction, a-t-il affirmé le 12 septembre, mais nous ne construirons pas non plus les dizaines de milliers de logements planifiés. »

Benyamin Nétanyahou pourrait donner discrètement à l’administration Obama les gages qu’elle attend. Avec un refus officiel de prolonger le gel de la colonisation et quelques assurances de modération en sous-main, il ne mettrait pas en danger l’alliance qui lui a permis de l’emporter aux législatives de 2009. Il n’aurait donc pas à se retourner vers une nouvelle majorité gouvernementale avec Kadima, le parti centriste de Tzipi Livni, favorable à la création d’un État palestinien.
Considérant la colonisation dans les territoires occupés comme une affaire de politique intérieure et de souveraineté nationale, Uzi Landau, du parti de droite nationaliste Israël Beitenou, a de son côté affirmé que « le gouvernement a ordonné un gel de la construction de dix mois, et c’est tout […]. Nous ne sommes pas une république bananière ». Tandis que Yesha, la principale organisation de colons israéliens, a publié dans la presse des encarts demandant aux États-Unis de ne pas exercer de pressions en vue d’obtenir un nouveau moratoire.
Toujours en contrepartie de son refus de prolonger le gel, le Premier ministre a également fait préciser par son porte-parole, Mark Regev, qu’il envisagerait un accord rapide dont l’application s’étalerait sur une longue période.

Comment vont réagir les États-Unis et l’Autorité palestinienne ?
« Si les États-Unis décident vraiment qu’Israël doit geler la colonisation, et si Israël sent qu’ils sont sérieux, Israël gèlera la colonisation, affirme Dalit Baum, coordinatrice de projets pour l’ONG israélienne Who profits. Israël est trop dépendant du soutien américain, économiquement, politiquement et stratégiquement. » De plus, à l’heure de mener l’offensive pour obtenir des sanctions contre l’Iran, Israël, isolé au niveau régional, ne peut se permettre de prononcer la reprise de la colonisation que s’il obtient l’assurance que cela ne créera pas de nouvelles tensions avec l’allié américain. Or, il semble qu’Israël ait obtenu cette assurance. Jusqu’à présent, les déclarations américaines manquent pour le moins de conviction. Barack Obama n’a-t-il pas fait savoir qu’il trouverait « logique de prolonger ce moratoire » ? Et Hillary Clinton que la prolongation du gel « serait extrêmement utile » ? Ce qui ne ressemble guère à une menace.

Voilà qui va une fois de plus placer Mahmoud Abbas dans une situation délicate. Le président de l’Autorité palestinienne avait en effet annoncé que, « si la construction dans les colonies se poursuivait, [il] cesserai[t] toute négociation » . Quant à Mohammad Chtayyeh, membre de la délégation palestinienne, il avait ajouté : « Nous n’acceptons pas de parler d’une colonisation partielle, édulcorée ou lente. » Oui, mais… En affichant cette apparente résolution, les dirigeants palestiniens comptaient sans doute sur un soutien de Washington. Un soutien qu’Obama ne leur accordera pas à un peu plus d’un mois des élections de mi-mandat. Une nouvelle crise entre Tel-Aviv et Washington mettrait à son tour le président américain dans l’embarras, face aux puissants lobbies favorables à Israël qui comptent parmi les électeurs traditionnels du Parti démocrate.

Que se passerait-il si les Palestiniens quittaient la table des pourparlers ?
Aussi invraisemblables que puissent paraître les revendications de Nétanyahou (reconnaissance d’Israël comme État juif, fin des « exigences » palestiniennes et renforcement des dispositifs sécuritaires), le président palestinien devra, s’il reste à la table des négociations, céder sur des questions cruciales. Pour Michel Warschawski, président du Centre d’informations alternatives, ces pourparlers visent à donner à Israël « ce qu’il n’aurait dû obtenir qu’en échange de la création d’un État palestinien et d’un accord de paix ». L’Autorité palestinienne devra donc plier. Difficile en effet de l’imaginer endossant la responsabilité d’avoir fait échouer les négociations. En quittant celles-ci, elle s’attirerait les foudres de la communauté internationale, des États-Unis en particulier, et le plan du gouvernement de Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, d’établir un État ­viable en 2011 serait hypothéqué.

Au total, il ne restera plus à Mahmoud Abbas qu’à aller au bout de sa logique, c’est-à-dire faire endosser à l’Autorité le rôle de gendarme qui lui a été assigné dès les accords d’Oslo. Mais, dans ces conditions, les urnes pourraient tôt ou tard donner de nouvelles victoires au Hamas. L’alternative pour Mahmoud Abbas serait, en prenant acte de son impuissance et de l’abandon américain, de marquer la fin de l’Autorité palestinienne. On entrerait alors dans une configuration à la sud-africaine. Israël aurait officiellement les pleins pouvoirs sur la Cisjordanie, et les Palestiniens deviendraient une minorité dans un régime d’apartheid. Il est peu probable que le président de l’Autorité joue cet énorme coup de poker. Ce n’est ni dans son caractère ni dans la logique de sa stratégie de négociation, quoi qu’il en coûte.

Monde
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