La santé ? Secondaire

Des sociologues détaillent le rôle des autorités dans le scandale du chlordécone aux Antilles.

Patrick Piro  • 9 septembre 2010 abonné·es

Deux nouveaux rapports ­mettent lourdement en cause l’administration française dans le drame du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.
Certes, de nombreux travaux ont déjà été produits sur les conséquences de l’épandage massif de ce pesticide dans les bananeraies des Antilles françaises, très toxique et très peu biodégradable, au point que les Nations unies viennent de l’inclure dans la liste des polluants organiques persistants (POP), où figurent des molécules épouvantails comme le DDT et les PCB.
L’intérêt de ces rapports [^2], rédigés par Pierre-Benoît Joly, de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), et Matthieu Fintz, pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, issue de la fusion de l’Afssa et de l’Afsset), c’est que leurs auteurs sont des sociologues. Pour la première fois, en dehors de champs spécifiques (agronomie, toxicologie, épidémiologie, cancérologie, etc.), ces travaux s’appliquent à donner une image factuelle la plus complète et la moins passionnelle des événements qui ont conduit à un scandale environnemental et sanitaire. Pierre-Benoît Joly s’astreint à dissocier les faits bruts (décisions ministérielles, etc.), par ailleurs tous connus, le récit qu’il en compose, ainsi que son interprétation de chercheur. Il en ressort une appréciation sans concession du rôle des institutions et des forces économiques (le lobby bananier). Ainsi, la gestion du dossier par le ministère de l’Agriculture (qui avait la haute main sur les autorisations et ne pouvait ignorer la toxicité du chlordécone !) montre « de véri­tables anomalies dans le cadre d’une approche de prévention » . « Face à la défense de l’industrie bananière française, on peut faire l’hypothèse que l’impact de l’utilisation de produits phytosanitaires sur l’environnement et la santé a été secondaire dans les préoccupations des autorités politiques » , écrit Matthieu Fintz, pour expliquer la survivance légale du chlordécone aux Antilles jusqu’en 1993 – exception mondiale –, alors qu’il était banni aux États-Unis depuis 1976 [^3].

« Ces documents décrivent la fabrication d’un drame banalement crasse : l’arbitrage systématique du modèle agricole en faveur des pesticides, qui a connu des déclinaisons en d’autres lieux » , commente un observateur impliqué dans le dossier. Avec l’effet démultiplicateur, aux Antilles, d’un système économique hérité de la colonisation qui fait, aujourd’hui encore, reposer l’économie de ces îles sur la monoculture de la banane.

[^2]: « La saga du chlordécone aux Antilles françaises, reconstruction chronologique 1968-2008 », Pierre-Benoît Joly ; « L’autorisation du chlordécone en France, 1968-1981 », Matthieu Fintz, disponibles en PDF sur le site de l’Inra, .

[^3]: Voir notamment Politis n° 1025 et 1109.

Écologie
Temps de lecture : 2 minutes

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