La société civile égarée

Les mouvements sociaux caressaient l’espoir d’une forme de cogestion des politiques avec le gouvernement. Elles ont déchanté, malgré quelques avancées.

Patrick Piro  • 30 septembre 2010 abonné·es

«Je suis issu de vos rangs » , clame Lula au Forum social mondial de Porto Alegre en 2003 devant des milliers d’altermondialistes. Il ne l’oublie pas et crée un secrétariat aux Relations avec la société civile, qui tente d’animer une collaboration originale entre le gouvernement et les mouvements sociaux. Après des années d’affrontement avec les pouvoirs en place, ceux-ci entrevoient la possibilité de contribuer au progrès social à grande échelle – démocratie participative, agriculture, éducation, santé, écologie, etc.
Mais une certaine confusion s’installe. Certains mouvements, comme la grande centrale syndicale CUT, se voient décapités par le départ au gouvernement d’une partie de leurs cadres. Une soixantaine de forums sont organisés dans le pays sur la santé, la réforme urbaine, les droits, la sécurité alimentaire, etc., mobilisant des millions de personnes. « Mais le gouvernement n’en a presque rien conservé, témoigne Cândido Grzybowski, directeur de l’institut d’analyse Ibase, et les mouvements ont perdu leurs illusions. » Le collectif Asa d’associations nordestines pour l’adaptation à l’aridité s’en tire mieux : le gouvernement institutionnalise un partenariat au point de lui attribuer 500 millions de réaux pour la gestion du programme « un million de citernes » [^2], qu’Asa a coélaboré. Mais de nombreux mouvements moins bien considérés se retrouvent piégés, peu tentés par « l’opposition » classique, et encore moins par la caution des compromis de l’exécutif.

Le Mouvement des sans-terre (MST) incarne en partie ces dilemmes. Il comptait faire avancer de façon décisive la réforme agraire promise depuis vingt-cinq ans, et qui ne progresse que très lentement. Pourtant, l’objectif de redistribution de terres du gouvernement est peu ambitieux. Le MST met la pression, intensifie ses invasions de terres. Mais le gouvernement n’exproprie presque plus de propriétaires en place (terres illégalement accaparées, improductives, etc.), il privilégie la régularisation foncière de territoires litigieux (en forêt, par exemple) : une stratégie globale destinée à ménager les agro-industriels, fer de lance des exportations. D’un autre côté, les programmes sociaux du gouvernement (bourse famille, aide à l’agriculture familiale, etc.) contribuent à démobiliser en partie les militants.

« Aspect positif, la participation citoyenne qui nous a été octroyée, malgré la frustration, a permis de préparer le terrain pour de futures réformes que nous avons contribué à faire parvenir à maturité, admet Cândido Grzybowski. Cet acquis nous autorise à penser un nouveau cycle de démocratisation de la société, à reprendre le travail populaire, à repenser le développement au regard de l’écologie, etc. Finalement, le gouvernement Lula n’a pas sonné pour nous l’entrée dans une nouv elle ère, il a offert le maximum de ce que le cadre actuel permettait. »

[^2]: Citernes domestiques de collecte des eaux de pluie.

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Mobilisation : quitte ou double ?
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