La taxe qui dérange l’Union

Très divisé, le conseil européen des finances n’a pris aucune décision en faveur d’une taxation des transactions financières. La Commission s’oppose aussi au projet lancé par la France et l’Allemagne.

Thierry Brun  • 16 septembre 2010 abonné·es
La taxe qui dérange l’Union

Le conseil européen extraordinaire des ministres des Finances (Ecofin), qui s’est tenu le 7 septembre, n’a pas fait grand bruit. Les ministres des Finances des Vingt-Sept ont adressé une discrète fin de non-recevoir au principe d’une taxation des transactions financières (TTF). Officiellement, l’Ecofin s’est achevé sur un constat de désaccords. La présidence belge de l’Union européenne a indiqué qu’il n’y avait « pas d’unanimité » sur le sujet. Plusieurs ministres se sont en effet élevés pour rejeter le projet. « Nous ne voulons pas de nouvelles taxes sur les transactions » , a résumé le ministre suédois des Finances, Anders Borg. « Nous pensons que cela pourrait être nuisible aux recettes fiscales. Et cela pourrait aussi entraîner beaucoup d’activités financières hors d’Europe » . Le Royaume-Uni, principale place financière européenne, ainsi que les Pays-Bas et l’Espagne ont fait savoir qu’ils n’étaient pas favorables à cette taxe.

Ainsi, après l’échec des discussions au sommet du G20 de Toronto (Canada) en juin, succède désormais celui de l’initiative des ministres français et allemand des Finances, qui avaient relancé le débat autour de la TTF. L’association altermondialiste Attac France « doute fortement de la réelle volonté politique des gouvernements français et allemand d’imposer à l’industrie financière une taxation des transactions ». La déclaration de Christine Lagarde à l’issue de l’Ecofin est une illustration de cette absence de conviction : « C’est techniquement faisable, c’est ce que disait d’ailleurs le FMI. C’est pratiquement difficile, c’est politiquement souhaitable et c’est financièrement aléatoire » , a lancé la ministre des Finances.

Le conseil Ecofin a aussi rejeté les revendications de la coalition composée d’Oxfam, des Européens pour une réforme financière (socialistes) et de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui demandait aux ministres de « reconnaître les mérites d’une taxe sur les transactions financières ». Pour la CES, il est « grand temps d’agir. Nous avons aujourd’hui besoin d’une TTF européenne afin de réunir des fonds destinés à financer les mesures de relance et de faire face aux activités purement spéculatives. Une taxe européenne appliquée à toutes les transactions financières réduirait sensiblement la spéculation, et les taxes appliquées aux banques limiteraient leur recours excessif à des sources de financement instables ».
Un récent rapport de la Banque des règlements internationaux (BRI) a montré que les opérations de change entre 2007 et 2010, ainsi que la spéculation, ont augmenté de 20 %, atteignant un chiffre d’affaires quotidien de 4 000 milliards de dollars. « Plus de la moitié de ces 4 000 milliards viennent des opérations de gré à gré, qui s’effectuent hors bourses, lesquelles sont laissées sans presque aucune réglementation. Et l’augmentation est due pour une part importante aux opérations spéculatives », souligne l’économiste Jacques Cossart, membre du conseil scientifique d’Attac France.

La situation financière décrite par la BRI n’a pas changé la position de la Banque centrale européenne (BCE), qui a montré une détermination sans faille contre le projet de TTF et a averti de son « énorme danger pour l’Europe ». « Nous vous déconseillons de vous embarquer dans une telle aventure, même si on mettait en place une telle taxe au niveau mondial », a même expliqué aux ministres européens des Finances Jean-Claude Trichet, président de la BCE. À cette opposition s’ajoute celle des services de la Commission européenne en charge de la fiscalité, qui a produit un document « non publié » [[Ce document est intitulé :
« EU Commission. Issues Note. Financial Sector Taxation ». Il est daté du mois d’août.]] avant le conseil du 7 septembre.

La Commission estime que « l’impact d’une taxe sur les transactions et la faisabilité d’une telle taxe restent largement incertains dans biens des cas » . Elle « augmenterait » notamment « le coût de financement pour les entreprises et les gouvernements » , et elle « réduirait le nombre de transactions » sur les marchés financiers, ce qui conduirait à « une plus grande volatilité des prix » . « Devant l’évidente nécessité de mettre en place une véritable taxation sur les transactions financières, et alors que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour ­l’exiger, la Commission monte au feu. Comme tous les idéologues, elle ne rechigne pas à aligner de pseudo-­arguments pour défendre son pré carré ! » , critique Jacques Cossart.

L’initiative de la France, qui n’a pas renoncé au principe d’une TTF au niveau mondial, apparaît bien compromise avant sa présidence du G20 en 2011. Le gouvernement français tient aussi un double langage, estime Attac France : « En même temps qu’il fait mine de promouvoir une taxe sur la finance pour plaire à ­l’opinion publique, il impose sa réforme des retraites pour rassurer les marchés financiers. » Les agences de notation et les spéculateurs, qui exigent l’austérité en Europe, ont encore de beaux jours devant eux.

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