Le Nigeria empoisonné par le pétrole

L’exploitation des hydrocarbures dans le sous-sol nigérian entraîne des dégâts environnementaux et sanitaires considérables. Des multinationales, principalement européennes, sont en cause.

Olivier Vilain  • 30 septembre 2010 abonné·es
Le Nigeria empoisonné par le pétrole
© PHOTO : EKPEI/AFP

le Nigeria est le pays rêvé pour les majors pétrolières. L’extraction de plus de 2 millions de barils par jour d’un brut de très grande qualité a fait la fortune des américaines ExxonMobil ou Chevron, de l’anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell, de l’italienne Eni ou de la française Total. Grâce à la richesse incomparable du sous-sol du delta du Niger, cet État fédéral est devenu le 3e plus gros vendeur d’hydrocarbures parmi les pays de l’Opep. Ses ports exportent ainsi autant de pétrole que les riches Émirats arabes unis ; autant que le Venezuela et l’Indonésie réunis. Le Nigeria est un géant de l’or noir à côté duquel même le Koweït fait figure de nain.
Pourtant, personne ne risque de confondre les 31 millions d’habitants qui vivent en bordure du golfe de ­Guinée avec des émirs ou des pétroliers texans. « Le delta du Niger est le lieu d’une véritable tragédie qui reste éloignée des unes de la presse depuis plus d’un demi-siècle », déplore Francis Perrin, ­membre du bureau exécutif d’Amnesty International France. Pour les peuples du delta du Niger, l’eldorado des pétroliers est devenu un enfer. Entre les villes de Warri, à l’ouest, et de Port Harcourt, à l’est, l’environnement est massacré, les populations sont exploitées, leurs moyens de subsistance détruits, et toute opposition est réprimée.

Dans la région, la majorité de la population vit dans une extrême pauvreté, souffrant de l’absence de services essentiels, tels que l’eau ­potable et l’assainissement, de « l’indifférence de l’administration centrale », « d’un chômage élevé » et de « privations », selon le Programme des Nations unies pour le développement. Le Pnud déplore en outre que la zone soit devenue le théâtre d’un « conflit endémique » entretenu par de nombreux groupes armés. La Banque africaine du développement résume la situation en des termes tout aussi sévères : « Au Nigeria, dont les revenus tirés du pétrole peuvent être estimés à 600 milliards de dollars depuis les années 1960, 70 % des habitants vivent avec moins d’un dollar par jour. » De telles conditions de vie se traduisent par une espérance de vie dépassant à peine les 50 ans.

« Il y a cinquante ans, lorsque les majors sont arrivées chez nous, les villageois ont sorti leurs habits de fête. Ils pensaient que c’était bon pour eux » , expliquait Celestine Akpobari, un ancien responsable du Syndicat des travailleurs agricoles du Nigeria, lors de son passage à Paris, fin 2009. « Les majors ont en effet apporté avec elles l’électricité, l’air conditionné, l’eau courante… mais uniquement pour leurs salariés ! Des routes ont aussi été construites… mais pour l’exploitation du brut. Il est partout : sous nos maisons, dans nos champs ; mais nous n’en avons pas profité », témoignait encore, à la demande d’Amnesty International, ce jeune homme de 37 ans qui se consacre désormais à la défense des droits des Ogoni, l’un des nombreux peuples du delta qui tentent de vivre entre les pipelines. « Notre terre est souillée, notre air est souillé, notre eau est souillée, poursuivait-il. Il ne nous reste que la pauvreté, la faim et les maladies : les handicaps, les cancers – qui étaient inconnus avant l’arrivée des Blancs – , les fausses couches, etc. Les plus affectés sont les enfants et les femmes. » Au moins 2 000 sites contaminés ont été recensés par l’administration nigériane. « La pollution est bien plus importante que celle qui frappe actuellement le golfe du Mexique » , souligne Francis Perrin.

Partout, le poison du pétrole ­s’infiltre. Dans les champs, dans les rivières… Les habitants du delta sont contraints de se laver, de boire et de cuisiner avec des eaux polluées. S’ils ont la chance de trouver encore du ­poisson, celui-ci est « contaminé par les hydrocarbures et d’autres toxines » , relève Amnesty International, qui s’inquiète car « les denrées agricoles, les produits forestiers ou de la pêche constituent la principale, voire la seule source de nourriture » pour plus de 60 % des habitants. Même l’air se charge de menaces à cause des innombrables torchères qui répandent en permanence leurs gaz nocifs et d’autres polluants. « Les villageois vivent à proximité de torchères parfois depuis trente ans. La pollution de l’air produit des pluies acides et des problèmes respiratoires », confirmait pour sa part ­l’organisation britannique International Crisis Group. Après sa première nuit passée à Paris, Celestine Akpobari a constaté : « J’ai dormi comme un bébé. Pour la première fois de ma vie, je respirais de l’air frais. Chez moi, c’est impossible : les yeux me piquent, les poumons me brûlent. Je me lève souvent la nuit à cause de quintes de toux. »

Bien entendu, tout le monde n’y a pas perdu. La multinationale Shell domine l’exploitation du delta à travers sa participation de 30 % dans la Shell Petroleum Development Company (SPDC). Bien que minoritaire, le groupe anglo-néerlandais est depuis toujours l’opérateur industriel de la principale compagnie pétrolière du delta. Le capital de la SPDC est complété par des sociétés dont le rôle se cantonne à celui d’investisseurs financiers : l’incontournable compagnie nationale du Nigeria (55 %), Eni (5 %) et Total (10 %). « Shell est sans conteste l’un des deux principaux responsables de la situation » , affirme Francis Perrin. Le rôle de l’État nigérian est tout aussi accablant : il encaisse la rente pétrolière sans imposer les règles à même de protéger les populations du sud du pays. Il ne reste pas inactif pour autant : la puissance publique déploie des forces de sécurité qui répriment toute opposition à l’exploitation pétrolière. Ainsi, malgré son action non-violente, Celestine Akpobari a brièvement été incarcéré en avril dernier, après avoir déjà échappé aux griffes d’une cinquantaine de soldats, l’année dernière.

Écologie
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