Malade la nuit ? Et puis quoi encore ?

L’Agence régionale de santé Île-de-France entend réduire le nombre de blocs de garde à un seul par département. Réorganisation nécessaire ou réduction de l’offre de soins ? Ce projet inquiète nombre de praticiens.

Ingrid Merckx  • 16 septembre 2010 abonné·es
Malade la nuit ? Et puis quoi encore ?

Méfiance : le texte n’est qu’à l’état de projet. C’est ce qu’assure l’Agence régionale de santé Île-de-France (ARS), dirigée par Claude Évin, ancien ministre socialiste de la Santé. « Nous en sommes à soumettre des hypothèses à la concertation » , assure Nicolas Peju, directeur de la communication. Mais la nouvelle, qui a fuité dans le Parisien le 5 septembre, a déjà mis le feu aux poudres. Le quotidien avait réussi à se procurer une « note » de l’ARS qui, sous le titre « Permanence des soins hospitaliers, organisation et financement », propose de passer le nombre de blocs opératoires de garde la nuit en Île-de-France à un seul dans chaque département, contre 6 à 11 aujourd’hui. « Tous les départements n’ont pas besoin de 11 blocs de garde , admet Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Mais, même en s’en tenant à un minimum de 6, on passerait d’une quarantaine à sept en Île-de-France, sachant que Paris est “sorti” du plan. Il y aura forcément engorgement ! » , alerte-t-il. Les habitants de certaines villes ­– Mantes-la-Jolie, Gonesse, Monterfermeil, Nemours, par exemple – voyant leurs services hospitaliers de nuit fermer seront redirigés vers l’hôpital « tête de pont » du département – à Pontoise, Versailles, Aulnay, Corbeil-Essonnes… Mais sans garantie d’être opérés immédiatement en arrivant, malgré le temps de transport. Ce qui peut poser des problèmes graves dans certains cas, et complique globalement la prise en charge d’urgence.

« Il ne s’agit pas de réduire les moyens mais de les mutualiser , affirme Nicolas Peju, qui certifie que Claude Évin, très attaché aux services publics, se battra pour défendre la sécurité des patients. » Sans que l’on sache clairement si cette mutualisation concerne les personnels ou le matériel. Motif : la Région, qui connaît pourtant la plus forte densité médicale d’Europe, va manquer cruellement de chirurgiens (et globalement de médecins) dans les dix ans, comme déjà le reste de la France. En outre, certains blocs resteraient ouverts la nuit en mobilisant des équipes (chirurgiens, radiologues, anesthésistes, personnels médicaux et paramédicaux), alors qu’ils reçoivent très peu de patients après minuit. Ce qui représente un coût, est contraignant et peu rémunérateur pour le personnel, et devient difficile à défendre quand, dans le privé, les radiologues, par exemple, sont trois fois mieux payés et sans obligation d’astreinte. En période de pénurie de médecins pour soigner et former la relève, et de concurrence croissante avec le secteur privé, il fallait réorganiser l’offre de soins sur le territoire. Tous les acteurs concernés en conviennent. D’autant que la tranche horaire minuit-8 heures est souvent très calme, et que la question des gardes en chirurgie traîne sur la table depuis dix ans au moins.

Claude Évin a voulu jeter un pavé dans la mare. Mais pourquoi traiter Paris à part, sinon pour des raisons politiques ? Pourquoi prétendre que seules les gardes de nuit en chirurgie et en radiologie sont concernées quand des projets sur d’autres services sont prêts à sortir ? Et pourquoi ouvrir la discussion sur une base aussi maximaliste dans un contexte marqué par un décret inquiétant sur la fermeture des petits blocs opératoires (retiré fin juillet mais bientôt de retour) et l’arrivée le 26 octobre devant l’Assemblée du débat sur la loi de financement de la Sécurité sociale ? Enfin, pourquoi ne pas dire clairement que l’Île-de-France teste des regroupements qui auront lieu ensuite dans la France entière – même si la région-capitale possède des caractéristiques particulières en termes de densité de population et de difficultés de transports ?

« Quand on veut fermer des structures, on met toujours en avant la sécurité des patients , rappelle Fabrice Millereau, maire de Beaumont-sur-Oise et vice-président de l’Association des petites villes de France (APVF). L’ ARS veut forcer les regroupements. Derrière la chirurgie, ce sont les urgences qui sont menacées. On sait bien que les heures de nuit sont des heures creuses et que les arrivées chutent après minuit. Mettre en commun plusieurs services n’est pas aberrant s’il y a une continuité dans la chaîne de soins et l’assurance qu’elle soit respectée. Mais que faire avec les patients qui ne sont pas transportables ? » Faire venir des professionnels d’astreinte ? Des équipes mobiles ? « Le « document de travail » de l’ARS est déjà bien avancé , prévient Christophe Prudhomme. Il s’inscrit dans la poursuite de décisions prises ces dernières années : il ne s’agit pas de réorganiser les gardes en chirurgie mais de rééquilibrer les comptes en réduisant la voilure la nuit. »

Sauf que les urgences ne sont pas aussi programmables que ce que l’ARS prétend : « Le concept de la garde, c’est d’être là “au cas où”. La question ne peut être celle de la productivité mais de la proximité, du délai de prise en charge, de la disponibilité des équipes, de leur possibilité de récupérer… » Et les regroupements n’ont pas les mêmes conséquences selon que les services se trouvent à un quart d’heure de route ou à trois. « Si une patiente fait une hémorragie au Blanc-Mesnil après avoir accouché, qu’il faut l’opérer, et que le seul bloc de garde se trouve à Clamart, on ne prendra peut-être pas le risque d’un arrêt cardiaque pendant le transport, et on sera réduit à lui retirer l’utérus, ablation qu’on aurait pu éviter ! » , explique Christophe Prudhomme. « Et puis quel intérêt de garder un bloc ouvert sans service de radio, comme il en est question ? » , s’interroge Fabrice Millereau. Qu’il y ait moins de chirurgiens de garde la nuit permettrait qu’ils soient plus nombreux la journée, soutient Claude Évin. « Vouloir récupérer du temps chirurgical est un faux argument » , ripostent certains praticiens, qui rappellent qu’un chirurgien qui est d’astreinte la nuit ne récupère jamais le lendemain, seuls récupèrent ceux qui sont de garde sur place. C’est toute la question de l’organisation des gardes, payées plus cher que des astreintes à domicile quand elles sont effectuées à l’hôpital, les deux restant des contraintes fortes pour les professionnels, qui, souvent, doivent effectuer dix astreintes mensuelles, soit un soir sur trois.

« On fermerait des blocs avec des équipes qui ont l’habitude de travailler ensemble parce que c’est du gaspillage, mais on continuerait à tolérer “les mercenaires”, ces praticiens qui interviennent en remplacement, sont payés très cher et viennent grever les budgets ? » s’indigne un chirurgien. Pour l’ARS, les enjeux financiers du projet « Permanence des soins hospitaliers… » seraient faibles comparés au coût politique. Représente-t-il pour autant une réponse sérieuse au problème des effectifs de personnel ? En Île-de-France, plusieurs services d’imagerie médicale, par exemple, ne fonctionnent pas, par manque de personnels qualifiés. « Le dispositif actuel ne peut pas perdurer , signale Cédric Lussiez, directeur de communication de la Fédération hospitalière de France (FHF). Toute l’équation consiste à trouver une solution prenant en compte le territoire, la densité de population, les transports, et à passer d’un système à l’autre sans que les patients en paient le prix et sans faire fuir les praticiens vers le privé. » La délégation régionale de la FHF planche sur des contre-propositions. « La chirurgie venant aujourd’hui catalyser tous les problèmes que rencontre l’hôpital… » . Le tour des maternités pourrait venir juste après.

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