Mauvais rêve américain

À travers le portrait
de migrants équatoriens, Stéphanie Lamorre propose un voyage dans l’enfer des clandestins
qui tentent de gagner
les États-Unis.

Jean-Claude Renard  • 9 septembre 2010 abonné·es

Affaire connue. Chaque année, plusieurs milliers de Latinos tentent de franchir la frontière séparant le Mexique des États-Unis. Ils remontent de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale vers le Nord. Non sans mal, non sans risques. Parmi eux, un couple équatorien avec ­quatre enfants, dont un bébé. En moyenne, le foyer gagne 150 dollars par mois en confectionnant des armoires en plastique. Comme la majorité des Équatoriens, le père a décidé, plus ou moins contraint, de quitter ses terres natales pour gagner les États-Unis et faire vivre sa famille à distance. Une décision qui implique 7 000 ­kilo­mètres de voyage, de tribulations laborieuses, la traversée de neuf pays, en évitant la police, les vols, les passeurs sans scrupule. Avant de partir, pour devenir un indocumentado , il brûle ses papiers. Il sera arrêté trois semaines plus tard au Honduras, et rapatrié aussitôt. Dans le cadre d’une récidive, il risque deux ans de prison. C’est donc sa femme qui s’engage à prendre la même décision. Pour un voyage suivi au plus près par la caméra de Stéphanie Lamorre. De Cuenca, à 500 kilomètres de Quito, en Équateur, à New York.

La réalisatrice a cheminé plusieurs mois durant avec cette mère de famille, Fatima, et ses compagnons de route, tous embarqués dans un parcours du combattant vers un hypothétique eldorado. Des mois de doutes, de dénuement, de trouille. Car ces cinq dernières années, près de trois mille personnes ont trouvé la mort au cours de ce voyage. Il n’empêche, les routes se remplissent chaque année de clandestins, animés par le rêve d’un au-delà irrésistible et par la nécessité. Faute de choix. Il s’agit de partir pour avoir le sentiment d’agir. À l’instar de Fatima, même si on estime à 5 % le nombre de femmes parmi les migrants illégaux.
Stéphanie Lamorre avait déjà réalisé un documentaire, la Citadelle Europe (2004), suivant les pérégrinations de deux jeunes Béninois, de Cotonou jusqu’en France. Ici, parallèlement à ce portrait de mère courage, filmant l’épuisement physique et moral, démontant les mécanismes de l’immigration, la réalisatrice souligne le marché lucratif que représentent ces clandestins, tantôt otages des passeurs, tantôt rackettés par les policiers. Avant de pouvoir poser leurs valises, avant d’être confrontés à une autre misère, celle de la survie loin des proches. Une existence à peine plus supportable que celle vécue auparavant. De quoi s’interroger sur l’exil.

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