Plus on est riche, plus on pollue

Jean Gadrey  • 16 septembre 2010 abonné·es

Dans les pays dits développés, les plus riches exercent-ils plus de pression sur l’environnement que les plus pauvres ? La question importe si l’on pense – ce qu’oublient nombre de discours écolos – qu’on ne résoudra pas la crise écologique sans une forte réduction des inégalités.
Il est vrai que les riches ont plus de moyens que les pauvres de prendre des mesures écologiques et de « consommer plus vert ». Mais, vu l’ampleur des inégalités de consommation, cela ne suffit pas à contrebalancer la tendance à ce que les plus hauts revenus aient une pression écologique nettement supérieure à celle des bas et moyens revenus.
Parmi d’autres sources, une solide étude canadienne de 2008 le prouve [^2]. Elle se fonde sur la notion d’empreinte écologique. Cet indicateur, apprécié des ONG plus que des comptables nationaux, est adapté à la problématique des biens naturels et de leur finitude. Une finitude dont les conséquences sont examinées sous toutes leurs coutures dans le beau livre récent de Geneviève Azam, le Temps du monde fini [^3].

L’empreinte écologique (EE) d’une population est la surface de la planète dont cette population dépend, compte tenu de son mode de vie et des techniques actuelles, pour ses besoins en produits du sol (agriculture, sylviculture) et en zones de pêche, en terrains bâtis ou aménagés (routes et infrastructures), et en forêts capables de recycler les émissions de CO2. Cet indicateur ne peut synthétiser tous les grands problèmes écologiques (par exemple, la question de l’eau lui échappe), mais il en recouvre un large éventail.

L’EE par habitant du Canada est l’une des plus élevées du monde : 7,6 ha. Dans un monde où l’on n’utiliserait pas plus de ressources que ce que la nature peut régénérer, l’EE par habitant ne devrait pas dépasser 1,7 ha. Si tout le monde vivait comme les Canadiens, il faudrait, avec les techniques actuelles de production et de transport, 4,5 planètes ! En France, avec une empreinte par habitant proche de 5 ha, nous n’en sommes « qu’à » environ 3 planètes, chiffre que citait déjà Jacques Chirac dans son discours de Johannesburg en 2002. Ah ! les beaux discours…
Premier résultat de l’étude canadienne : si l’on raisonne par tranches de 10 % des ménages en fonction de leur revenu (les « déciles »), l’EE par personne augmente nettement avec les revenus : 5 ha en moyenne pour les 10 % les plus pauvres, 12,4 pour les 10 % les plus riches, soit 2,5 fois plus.
Deuxième résultat : le bond le plus net se situe entre le neuvième décile (8,9 ha) et le dixième (12,4 ha). Pour les deux tiers de la population, les écarts restent modérés, dans une fourchette de 5 à 7,5 ha.

Troisième résultat : les inégalités d’EE selon les revenus sont négligeables pour l’alimentation, plus importantes pour les services, le logement et l’achat de biens, et énormes pour la mobilité (voiture, surtout). Les dépenses alimentaires comptent pour 41 % de l’EE des 10 % les plus pauvres, contre seulement 18 % pour les 10 % les plus riches. Mais la mobilité compte pour 26 % de l’EE des plus riches contre seulement 7 % pour les plus pauvres.
Nul doute que les écarts seraient bien plus importants si l’on avait des données sur l’EE des « ultrariches », avec leurs somptueuses résidences principales et secondaires, leurs yachts et jets privés, les personnels à leur service et leur consommation ostentatoire.

Il reste que, si Hervé Kempf a raison d’écrire que « les riches détruisent la planète » , l’EE de l’immense majorité des habitants des pays riches est aujourd’hui excessive parce que le système de production et d’orientation des modes de vie est sous la coupe des acteurs de l’accumulation illimitée et de la surexploitation simultanée des personnes et de la nature. Ce n’est pas d’abord par leur consommation que les (très) riches nous enfoncent dans la crise écologique, c’est par leur pouvoir économique et financier exorbitant. Cela donne une idée des solutions : les « petits gestes pour la planète » ne suffiront pas. C’est le pouvoir de la ploutocratie qu’il faut réduire.

[^2]: Canadian Centre for Policy Alternatives, Size Matters, juin 2008, téléchargeable.

[^3]: Éditions Les liens qui libèrent.

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