Tu N’As Même Pas Vécu La Guerre, Et Tu Voudrais Garder L’Argent De Ta Retraite?

Sébastien Fontenelle  • 9 septembre 2010
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Illustration - Tu N'As Même Pas Vécu La Guerre, Et Tu Voudrais Garder L'Argent De Ta Retraite?

Christophe Barbier, taulier, produit cette semaine, dans L’Express (et dans un éditorial qui restera dans les annales du conditionnement des masses), pour défendre «la réforme des retraites» (RDR), une argumentation de niveau 9 sur l’échelle de Fillon-Parisot, d’où ressort, principalement, que si tu es contre la RDR, tu souhaites la mort des vieux (ça fait de toi, conviens, quelque chose d’assez peu avenant) – puis que, dès lors que tu n’as pris qu’une médiocre part (au prétexte facile que tu n’étais pas né(e)) dans la défense de Fleigneux, faudrait que tu rendes un peu vitement l’argent qu’on t’a versé depuis que t’as pris (en revanche) ta retraite – non mais sans déconner, tu désertes, et faudrait qu’en plus on te parraine?

Christophe Barbier commence par énoncer, classique échauffement, que «la réforme des retraites est nécessaire» – et se gagne 5D6 points d’éditocratie, doublés d’une acclamation de Frédéric Lefèbvre, qui n’aurait pas dit mieux.

Christophe Barbier sort ensuite, pour fonder cette affirmation que «la réforme des retraites est nécessaire» , son argument number one , qui est comme je disais que les filles & fils de mégap*****s vertes qui ont aujourd’hui l’effronterie de juger que la RDR n’est pas si «nécessaire» que ça auront demain sur la conscience la mort de millions de «vieux» – et que ces gens sont par conséquent des tueurs en série, call the police , mâme Dupont, je vous en prie call the police , nous allons empêcher un crime, for God’s sake !

Christophe Barbier dit comme ça que: «Si l’on ne finance pas la vie des vieux» en réformant les retraites avec François Fillon, «leur immense foule travaillera jusqu’au bout de ses forces, jusqu’au moment où elle n’aura plus que le droit de mourir.»

Christophe Barbier – dont la délicate pudeur sera je crois chantée dans les siècles des siècles – dit comme ça qu’ «aux cohortes des manifestants d’aujourd’hui succéderont les files des vieillards devant les soupes populaires et les cortèges suivant les corbillards.»

(En clair: quand tu manifestes pour la défense des retraites, c’est un peu comme si tu ouvrais un feu nourri dans une maison du troisième âge.

L’intention homicide est, certes, moins directement évidente, mais bon, t’auras beau mettre un autocollant de la CFDT à Ted Bundy: le gars restera ce qu’il est.)

Christophe Barbier demande: «Qui veut de cette inhumaine société?»

(Personne, évidemment – sauf toi, et toi, et toi, qui étiez mardi aux manifs où se fomentait cette inhumaine société.)

Christophe Barbier produit, après, son argument numéro 2: «Cette réforme est bonne.»

D’accord: elle est «sans doute injuste» [^2].

Mais elle est bonne, tout de même, car: «Elle jette quelques pilotis financiers pour que la société française, vieillissante[^3], traverse les eaux noires et glacées de la crise et des déficits.»

Ce pal où qu’on t’a mis, Rémy, n’est sans doute pas le plus confortable siège qu’on t’ait pu trouver – j’en conviens.

Mais par gros temps, n’est-ce pas: faut pas non plus rester crispé sur des conceptions du confort qui sentent à vingt lieues sa petite-bourgeoisie [^4].

Argument numéro 3, en forme d’ouverture à des horizons de rêve: «Cette réforme en appellera d’autres.»

C’est comme les M&M’s: faut jamais commencer.

Y en aura d’autres donc, et elles seront «d’autant moins cruelles que celle-ci est courageuse.»

Par conséquent: «Nous devons cautériser aujourd’hui pour ne pas amputer demain.»

Herr bon Doktor Christophe Barbier t’envoie ce message de prévention: tu vas te prendre un méchant coup de barre dans le cartilage alaire, mais si tu regimbes on reviendra le mois prochain pour te couper la tête – conviens que tu gagnes donc à te faire péter le nez?

Après avoir, ainsi, longuement ovationné la nécessaire et bonne réforme des retraites (le gars aime, du gouvernant, lécher de près le réformisme), Barbier, suivant le bien connu procédé propagandaire consistant à faire semblant de mettre du mou dans son dur et du gentil dans son méchant, relève tout de même un «défaut» , dans «la réforme Sarkozy» : le chef de l’État français a fait « le choix politique d’épargner les plus privilégiés» .

(Voilà qui étonne, venant d’un homme qui nous avait habitué(e)s à plus d’équanimité.)

Mais bien sûr: l’apparente réprobation d’un soi-disant défaut dissimule – suivant toujours les règles du flagornisme propagandier – une adhésion franche et massive aux soutènements du sarkozysme, où les moins nanti(e)s paient – ce n’est pas négociable – pour les mieux pansu(e)s possédant(e)s.

Car en effet, pour notre bon docteur: «les plus privilégiés» sont, d’une part, concession à l’aile gauche de son lectorat (celle qui vote pour Bayrou), «les enrichis du capital» (qu’il évacue de son édito par ces quatre mots (les, enrichis, du, capital), et dont il ne dira plus rien, et dont il n’exigera bien sûr pas qu’il restituent le moindre sou), et, d’autre part, et surtout, «les baby-boomeurs fraîchement retraités» , dont j’ignorais, perso, qu’ils fussent (nonobstant leur apparente nonchalance made in 1960’s ) de si conséquents bâtards de l’espace, mais dont je découvre dans la prédication de Christophe Barbier qu’ils sont au même très bas niveau, dans la nomenclature de l’inhumaine société, que les manifestueurs de vieux, puisque, tiens-toi bien: alors même qu’ils n’ont pas (du tout) défendu Sedan contre les panzers de Guderian (ni même traqué dans les rizières le moindre morceau de nhà quê , ni même vécu le plus petit rationnement), ils prétendent garder pour eux l’argent de leurs (fraîches) retraites, non mais putain, qui ces gens sont?

Christophe Barbier, après avoir négligé de réclamer que les enrichi(e)s du capital cotisent contre la mort des vieux, dit en effet sans blobloter que «les baby-boomeurs fraîchement retraités (…) sont nés assez tard pour éviter les guerres et assez tôt pour échapper au chômage de masse, et n’ont pas tant cotisé durant leur vie active, puisqu’il y avait moins de vieux.»

Donc: «Ils doivent rembourser leur trop-perçu de prospérité.»

Puis de répéter, pour le cas où d’aucun(e)s douteraient qu’il ait si fort basculé dans l’hagarderie hallucinée: «Ceux qui ont pris leur retraite juste à temps et évité la réforme actuelle doivent payer afin d’aider ceux qui travailleront plus longtemps pour dorer la vieillesse de leurs heureux aînés!»

Contrairement, donc, aux enrichi(e)s du capital (qui de leur côté peuvent continuer de s’enrichir du capital sans qu’on vienne leur briser la tirelire, et qui le soir brûlent des cierges en psalmodiant le nom de Christophe Barbier, dont ils aiment la brutalité[^5]), les enrichi(e)s du salariat – ces gens tu sais, dont la naissance a ménagé qu’ils ont pu faire jusqu’au bout leurs quarante années d’usine ou de fonction publique, vont s’il vous plaît redistribuer l’argent de leurs pensions.

Vous serez gentil(le)s de faire vos chèques à l’ordre précis du capital: une petite gratification – fût-elle symbolique – pour le fidèle Barbier, qui a si bien servi, serait aussi très appréciée.

Puis vous reprendrez avec lui: «Tous ensemble, donc, pour la réforme des retraites; celle-ci et celles qui suivront.»

[^2]: Who cares?

[^3]: Je suis d’accord avec toi: on dirait le résumé d’un bouquin de Paulo Coelho.

[^4]: En français, dans le texte.

[^5]: Du moins, chère Liliane, çui-là n’est-il pas communiste; j’allais vous le dire, François-Marie.

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