« Un budget qui profite aux riches »

François Baroin a présenté au Conseil des ministres un budget de rigueur pour 2011. L’économiste et député européen socialiste Liêm Hoang-Ngoc* analyse ce projet et propose une réforme de la fiscalité.

Thierry Brun  • 30 septembre 2010 abonné·es
« Un budget qui profite aux riches »
© PHOTO : VENANCE/AFP * Coauteur avec Vincent Drezet d’Il faut faire payer les riches, à paraître au Seuil le 21 octobre, 14 euros.

Politis : Présenté en Conseil des ministres mercredi, le projet de loi de finances affiche une réduction de 40 milliards d’euros du déficit dans le budget pour 2011, et le gouvernement table sur une croissance de 2 %. Ce projet vous semble-t-il réaliste ?

Liêm Hoang-Ngoc : C’est le premier budget de rigueur en application de la « politique de sortie » recommandée par la Commission européenne et le Conseil européen. Cette rigueur est relative : rigueur pour le plus grand nombre et maintien des cadeaux fiscaux pour les plus aisés. Malgré les coups de lime sur les niches fiscales, qui concernent les classes moyennes, le développement durable et l’outre-mer, le bouclier fiscal est préservé ; l’effort en matière fiscale ne sera pas supporté par les plus hauts revenus.

Quels sont les faits marquants de cette rigueur « relative » programmée dans le budget de l’État ?

Symbole des cadeaux fiscaux, le bouclier fiscal s’est traduit par le remboursement en 2009 de 679 millions d’euros en faveur de 18 764 ménages. La « niche Copé », exonérant les plus-values en cas de vente de filiales et de participations de plus de deux ans, représente 5 milliards d’euros. La baisse de la TVA sur la restauration coûte 2,35 milliards. Côté rigueur, la révision générale des politiques publiques (RGPP) permet à l’État d’économiser 500 millions d’euros par an en réduisant de près de 50 000 emplois par an les effectifs des services publics. La coupe ­s’élèverait à 1 milliard en 2010 si l’objectif de 100 000 emplois supprimés dans les services publics était confirmé. La rigueur se traduira également par la réduction du périmètre de la protection sociale. Après la « réforme » des retraites, des mesures s’attaquant à l’assurance-maladie sont d’ores et déjà prévues : déremboursements et augmentations de frais hospitaliers, entre autres, à hauteur de 2,5 milliards, pèseront sur les mutuelles de santé et donc sur les ménages. Le gel des dotations touchera les collectivités territoriales et fera peser sur la fiscalité locale l’ajustement lié au transfert de charges que les collectivités ont subi ces dernières années. Enfin, le gel des salaires des fonctionnaires va produire un « effet vitrine » dans l’ensemble de l’économie, où la négociation salariale prendra pour référence la poursuite de la « modération salariale ». La consommation, et donc l’investissement et la reprise en pâtiront. Au total, l’hypothèse d’une croissance de 2 % paraît irréaliste, et les déficits se creuseront, car les rentrées fiscales seront plus faibles.

Près des trois quarts des Français jugent injuste la répartition des impôts, selon un récent sondage. L’actuelle politique fiscale est fortement mise en cause. Pourquoi ?

Soulignons d’abord que la véritable cause de la montée des déficits n’est pas due à l’inflation de dépenses de l’État en tant que tel. Leur part dans le PIB a baissé de deux points en un quart de siècle. La période récente est surtout marquée par la montée des « dépenses fiscales », terme convenu pour qualifier pudiquement les cadeaux fiscaux. Les dépenses fiscales ont explosé avec la multiplication des niches fiscales et sociales, et les réformes du barème de l’impôt sur le revenu. Le manque à gagner a été chiffré à une centaine de milliards par an depuis le début des années 2000. Ces baisses d’impôt ont surtout profité à des ménages aisés, dont la proportion à épargner est forte. Cela a amplifié l’accroissement des inégalités et nourri les comportements spéculatifs des classes riches sur les marchés financiers et immobiliers.

Ces injustices sont visibles quand on examine le taux d’effort, qui rapporte les impôts payés au revenu disponible des ménages. Le taux d’effort est en moyenne de 20,6 %. Celui des 10 % des ménages les plus pauvres est de 18 % alors que celui des 10 % des ménages les plus riches n’est que de 23,8 %. Cela veut dire que, globalement, tout prélèvement confondu, le système français est peu redistributif. Alors que le taux marginal de la tranche supérieure du barème de l’IR est de 40 %, le faible taux d’effort des riches s’explique par le jeu des « niches fiscales », qui diminuent ­l’impôt réellement payé. Il en résulte que le poids de l’IR, seul impôt progressif, est très faible : il ne représente que 17 % des recettes fiscales. Le poids des impôts proportionnels (CSG, cotisations sociales et TVA), qui frappe au même taux le riche et le pauvre, est au contraire important.

Que faudrait-il faire pour réduire les déficits ?

Le déficit structurel n’est que de 3,5 %, selon les calculs de l’OFCE. C’est peu. C’est le déficit conjoncturel, dû aux effets de la crise, qui explique un déficit courant de 8 %. Celui-ci est susceptible de jouer un rôle de « stabilisateur » automatique en période d’activité ralentie, à condition d’affecter les emprunts vers des dépenses d’investissement et de redistribution ayant un effet sur l’activité. Si, dans deux ans, l’économie plongeait dans une nouvelle récession, il serait possible de libérer de nouvelles marges de manœuvre pour emprunter en réduisant le déficit structurel par une réforme fiscale appropriée. Le rendement de l’impôt peut être accru dans une fourchette de 30 à 50 milliards. Cette politique « contracyclique » consiste à relancer en période de basse conjoncture et, lorsque le plein-emploi est en vue, à affecter les cagnottes fiscales au désendettement. C’est tout le contraire qui est fait en Europe depuis l’entrée en vigueur de l’euro. Contrairement au but recherché, le durcissement du pacte de stabilité dans le cadre du « Semestre européen » va tuer la reprise et creuser les déficits.

Que serait une réforme de la fiscalité progressiste ?

Une fiscalité juste met en pratique le principe de la participation de chaque citoyen à la solidarité nationale selon ses facultés contributives. Or, avec le bouclier fiscal, l’impôt est devenu dégressif : plus on est riche, moins on paye. Le bouclier fiscal peut même être considéré comme étant anticonstitutionnel si l’on suit les principes énoncés dans les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pour les respecter, il faudrait que l’IR monte en puissance et l’asseoir sur une assiette très large. Celle de la CSG est à cet égard très commode parce qu’elle touche tous les revenus, y compris ceux du capital. Sur cette assiette, on pourrait greffer un barème progressif d’une dizaine de tranches avec un taux de la tranche supérieure à 70 %. Une redistribution en direction des bas revenus par le biais d’une décote, d’un abattement ou d’un crédit d’impôt serait organisée.
L’autre volet d’une telle réforme serait la mise à plat des impôts sur le patrimoine. Il faudrait supprimer le bouclier fiscal et l’ISF en remplaçant ce dernier par un véritable impôt général sur le patrimoine. Celui-ci comporterait un volet transmission et un volet détention. Il serait assis sur une assiette large, incluant les biens professionnels et les œuvres d’art, avec un barème progressif et des abattements pour éviter de taxer les classes moyennes et l’outil de travail des PME et des artisans. Ce sont des principes généraux compréhensibles, populaires, qu’un gouvernement progressiste pourrait appliquer.

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