Appel à la grève générale… en Outre-Mer

Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais descendent dans la rue aujourd’hui. Mais là-bas, la réforme de retraites mobilise moins que le non-respect par l’Etat de ses promesses sur la baisse des prix.

Pierre Duquesne  • 26 octobre 2010 abonné·es
Appel à la grève générale… en Outre-Mer
© Photo : AFP

Aujourd’hui mardi 26 octobre, une grève générale a lieu en France. Elle n’est pas l’oeuvre des grandes confédérations syndicales métropolitaines mais du collectif guadeloupéen Liyannaj kont Pwofitasyon (LKP), et de son équivalent martiniquais du K5F (le Collectif du 5 février). Antillais et Guyanais manifestent pour demander à l’Etat qu’il applique l’accord signé après le grand mouvement populaire contre l’augmentation des prix, début 2009.

« L’Etat essaie petit à petit de revenir sur les accords que l’on avait signé » , dénonce Elie Domota, porte-parole du LKP, joint au téléphone par Politis.fr . L’accord salarial prévoyait que les salariés touchant moins de 1,4 Smic bénéficiaient d’une augmentation de salaire de 200 euros. Pour cette augmentation, le salaire net devait être pris en compte, hors primes et autres avantages. « Mais l’Etat, dans son calcul, intègre les primes et les accessoires. De ce fait, plusieurs milliers de personnes ne touchent pas l’augmentation promise par l’Etat. » Au niveau des prix, insiste Elie Domota, « il était prévu que l’Etat s’engage à contrôler leur évolution. Aujourd’hui, les prix repartent à la hausse. Et au contraire, l’Etat vient de reverser plus de 150 millions d’euros aux compagnies pétrolières, au motif que la baisse du prix du carburant leur a fait perdre de l’argent.»

Autre point d’achoppement : le plan d’urgence pour la formation des jeunes prévu dans les accords. « 60 % de nos jeunes sont au chômage aujourd’hui, et l’Etat n’a rien fait. Il n’a même pas respecté ses engagements permettant l’accès des Guadeloupéens aux postes à responsabilité, notamment dans l’administration. » Aujourd’hui encore, ni les collectivités locales, ni les services de l’Etat n’ont avancé sur la question de l’eau. Elie Domota rappelle pourtant qu’il était prévu « la mise en place d’un syndicat unique de l’eau avec une harmonisation du prix de l’eau. En Guadeloupe, vous avez 32 communes et 11 tarifs différents, qui vont du simple au double » . D’autres promesses, comme un service public de transport terrestre et maritime ou une meilleure reconnaissance de la langue créole, se font toujours attendre.

L’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2011 risque aussi d’apporter de l’eau au moulin de la contestation : d’après ce texte, l’effort total de l’Etat en faveur de l’Outre-Mer, via les dépenses fiscales ou les sommes engagées, a reculé de près de 1 milliards d’euros par rapport à 2010.

En Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane, il n’y a donc pas de mobilisation spécifique sur la réforme des retraites. Toutefois, le LKP « soutient fermement les initiatives qui sont prises en France par les travailleurs sur les retraites » , précise Elie Domota. « Si nous nous battons plus largement sur l’emploi et les conditions de vie, le retrait de la réforme fait partie de notre plateforme de revendication. »

Le LKP, à qui l’on doit la dernière victoire d’un mouvement social en France, a-t-il des conseils à donner aux dirigeants syndicaux de métropole ? Le leader ultramarin reste réservé : « Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui déterminent les modalités de leur mouvement. Néanmoins, devant l’attitude du gouvernement Fillon-Sarkozy qui n’attend que la lassitude des travailleurs, il faut qu’il y ait des mouvements qui soient reconductibles dans les transports, pour permettre un véritable rapport de force en faveur des travailleurs. C’est le seul moyen pour faire comprendre à ce gouvernement qu’il faut qu’il arrête de jouer avec les acquis sociaux. »

Frédéric Régent était secrétaire départemental de la FSU en Guadeloupe au moment du mouvement LKP. Aujourd’hui enseignant à l’université Paris 1, il est pleinement investi dans le combat contre la réforme des retraites. Pour lui, une forte unité syndicale est le principal point commun de ces deux batailles. « Un autre élément a été déterminant pour la victoire en Guadeloupe, note-t-il aussi. C’est le blocage total des moyens d’approvisionnement en essence. Toute l’île a été bloquée, y compris les plus petits sentiers. Et certains Guadeloupéens étaient prêts à faire 15 km à pied pour aller manifester. »

Une situation bien éloignée de celle de la métropole aujourd’hui. Malgré cela, Elie Domota et Frédéric Régent restent optimistes sur l’avenir du mouvement contre les retraites. « Il faut continuer l’information, la propagande, les meetings d’informations » , estime le premier, quand le second rappelle que « 300 000 tracts ont été distribués…aux 400 000 habitants que comptent la Guadeloupe » . « Le blocage complet de l’île n’est intervenu qu’à partir de la troisième semaine du mouvement, long de 44 jours » , aime se souvenir Frédéric Régent. Il le répète chaque jour en assemblée générale : « Face à un gouvernement bloqué, il faut être plus bloqué de lui. »

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