La colonisation économique en procès

Un collectifs d’associations porte plainte contre l’entreprise israélienne Agrexco : des produits agricoles importés en France estampillés « Israël » proviennent en grande partie des territoires occupés.

Lucie Karasinski  • 7 octobre 2010 abonné·es
La colonisation économique en procès
© Photo : guyot/AFP

S’appuyer sur le droit économique pour soutenir les droits de l’homme en Palestine. Tel est le pari fait par six associations françaises [^2] qui ont annoncé, le 15 septembre, leur intention de porter plainte en référé le 20 octobre au tribunal de commerce de Créteil contre la société israélienne agroalimentaire Agrexco. Toutes membres de la Coalition contre Agrexco [^3], ces organisations espèrent démontrer que les traités de coopération économique, accordant une détaxe aux importations israéliennes sur le sol européen, ne peuvent s’appliquer aux produits en provenance des territoires occupés de Palestine. Une plainte qualifiée d’ « insupportable » par l’ambassade d’Israël, « convaincue que la justice française ne donnera pas suite » . Pour l’heure, c’est devant cette justice que l’importateur devrait justifier de l’origine israélienne de ses produits. Or, en vertu des accords signés entre l’Europe et Tel-Aviv depuis 1995, les frontières de 1949 font foi. Au moment où le moratoire sur le gel de la colonisation vient de prendre fin, la question est au cœur de cet imbroglio ­économico-politique.

Le 25 février dernier, dans un litige opposant les douanes allemandes à la société germanique Brita, importatrice de produits des colonies, la Cour européenne de justice a reconnu que l’ensemble des certificats des produits commercialisés sous label « made in Israël » étaient établis par les autorités sans distinction entre territoires occupés ou sol national. Une « divergence d’interprétation sur le champ d’application territorial de l’accord » , selon les termes de la Commission européenne, génératrice de fraudes massives, qui n’a cependant pas empêché le renforcement des relations commerciales avec Israël lors de la présidence française de l’Union et ce, en dépit de l’avis rendu en 2002 par le Parlement européen.

Depuis 2005, les textes de Bruxelles précisent que « les produits obtenus dans les territoires placés sous administration israélienne depuis 1967 n’ouvrent pas le bénéfice du régime [de détaxe] préférentiel » . Des injonctions restées lettre morte. Pour la députée européenne des Verts Nicole Kiil-Nielsen, « la dissimulation des exportations agricoles d’Agrexco n’est pas un phénomène isolé » . Selon le directeur d’Agrexco Royaume-Uni, 70 % de ses exportations viendraient des colonies israéliennes en Cisjordanie. « Si Israël maintenait son refus de marquer les produits des colonies, toutes les exportations israéliennes vers l’Europe pourraient être taxées » , déclarait Dov Weisglass, conseiller de l’ancien Premier ministre Ariel Sharon, dans le quotidien Haaretz du 5 septembre 2009. Pour l’avocat des associations, Gilles Devers, il s’agirait d’ « une atteinte considérable à la colonisation qui n’est plus rien sans son équilibre économique » .

Appendice économique de la politique coloniale d’Israël (le ministère de l’Agriculture en détient 50 %), la société agroalimentaire Agrexco est l’un des plus grands groupes d’exportation de « primeurs » dans le monde. Pour la Confédération paysanne, « au vu de ses faibles charges et des subventions de l’État israélien qu’elle reçoit » , il y a concurrence déloyale. Nicolas Duntze, chargé du dossier pour le syndicat et paysan dans le Gard, rappelle « la situation d’extrême précarité des paysans palestiniens déchus de leurs terres et condamnés à des conditions salariales indignes » . Dans un courrier daté du 11 août, adressé aux élus des conseils généraux et du conseil régional du Languedoc-Roussillon et resté sans réponse, la Confédération paysanne dénonce également « ces produits maraîchers et fruitiers directement en concurrence avec les productions languedociennes » . Du dumping social exercé par la même société des deux côtés de la Méditerranée. Selon l’exploitant gardois, « l’omerta continue sur ce dossier » . Car à Sète, port économiquement sinistré, l’instigateur du projet, le président de Région Georges Frêche, s’est assuré le soutien d’une partie de la population en promettant des créations d’emplois. Pour Nicolas Duntze, « il faut remettre de la politique dans l’économie […]. On ne peut pas faire n’importe quoi sous ce prétexte-là ».

Autre nouveauté juridique : la transposition en droit français de textes de la Cour pénale internationale. Depuis le 9 août 2010, l’article 461-26 du code pénal définit le « crime de colonisation ». Cette loi, qui prévoit notamment les notions de « complicité » et de « culpabilité des personnes morales » , dès lors que leur siège social se situe en France, pourrait, selon Me Devers, « permettre de déposer des plaintes contre les entreprises qui soutiennent la colonisation en offrant un débouché à ces produits » . Voire contraindre les enseignes à les retirer de leurs rayons. « S’il y a violation du droit, il y a une logique : ­faisons le procès ! »

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[^2]: Confédération paysanne, Cimade, Union juive française pour la paix (UJFP), Campagne civile pour la protection du peuple palestinien, International Solidarity Movement France et Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine.

[^3]: La Coalition contre Agrexco est née début 2009 de l’opposition d’une dizaine d’associations à l’implantation de la société israélienne sur le port de Sète. Elle en regroupe aujourd’hui une centaine, dont des syndicats et des partis politiques.

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