Le machisme ultraviolent au quotidien

Le pseudo-documentaire d’Arte «La Cité du mâle» désignait les cités comme «le» lieu de l’ultrasexisme. L’enquête qui suit montre qu’il se porte très bien dans tous les milieux, y compris au plus haut niveau de l’establishment.

Michelle Guerci  • 28 octobre 2010 abonné·es
Le machisme ultraviolent au quotidien

« Tu lui mets une droite et on n’en parle plus » , dit un animateur à un jeune homme qui témoigne ne pas s’entendre avec sa patronne.
« Sophie, tu racontes que de la merde. La prochaine fois, tu vas prendre. » Adresse d’un autre animateur à sa collègue prénommée Sophie.
Non, vous n’êtes pas dans le 93 ou en banlieue marseillaise. Vous êtes sur NRJ, 4e radio française. Ces extraits d’émissions figurent dans le Rapport sur l’image des femmes dans les médias , paru fin 2008. Il a été commandé par la commission du même nom, présidée par Michèle Reiser, et sa rapporteuse, Brigitte Grésy, est inspectrice générale des affaires sociales. À la suite de ce rapport, le 13 octobre, un accord a été signé entre une soixantaine de patrons de presse, la secrétaire d’État à la Famille et à la Solidarité, Nadine Morano, et le CSA. Objectif : favoriser l’expression d’expertes sous-représentées à la télé, à la radio ou dans la presse écrite, et lutter contre les stéréotypes. Mais rien dans cet accord sur le machisme ultraviolent [^2].

Pourtant, dans le même rapport, on peut lire plus loin : « À un garçon qui évoque le malaise de son amie à l’idée de se retrouver nue devant lui pour faire l’amour pour la première fois, un animateur conseille : “Tu la mets à quatre pattes et puis t’es dedans”, et un autre poursuit : “Si tu veux la dresser, tu lui mets un petit coup sur les fesses, et si elle accepte pas, tu lui mets un petit coup jusqu’à ce qu’elle accepte, pour la dresser, quoi”. » Vous êtes toujours sur NRJ.

Plus loin encore : « Si t’étais gentille, on te paierait peut-être ? » Cette fois, vous êtes sur Fun Radio, propriété du groupe RTL, 7e radio et 2e en taux d’audience chez les 15-25 ans. Plus loin, toujours sur Fun Radio, un animateur coupe le raisonnement de sa collègue avec ces mots : « “Dit-elle, en sortant ses gros seins”. […] La question de la taille des seins d e cette dernière est récurrente tout au long de l’émission au point qu’on lui demande si elle est enceinte. […] “Moi, on m’a jamais éjaculé dans la bouche !” : voix de Marie imitée de façon ridicule par l’animateur. » Etc.

Incitation aux violences physiques, au viol, femmes traitées comme des sous-êtres, femmes-prostituées : ces propos, cas extrêmes selon le rapport, ont droit de cité sur les ondes tous les jours.
Autre radio, n° 1 français chez les 15-25 ans avec 4,2 millions d’auditeurs quotidiens : Skyrock. Actionnaire majoritaire : Axa. Elle est présidée par Pierre Bellanger (actionnaire minoritaire) et régulièrement épinglée par le CSA pour ses propos attentatoires à la dignité humaine.
Le rapport pointe le statut des animatrices sur Skyrock : « Un florilège des interventions de Marie [animatrice] en un quart d’heure d’émission. […] Elles se résument à des onomatopées diverses, à des reprises de fins de phrases masculines ou à des assentiments non justifiés. Grossièretés, propos violents, mises en dérision et subtilisation de sa parole imitée de façon ridicule par un animateur. »

Sur Skyrock.com, le réseau social qui regroupe 30,9 millions de blogs dans le monde – la majorité en France –, on peut voir l’animatrice vedette de « Radio libre » filmée en vidéo en train de se déshabiller. Des photos suggestives figurent sur le site. Les commentaires postés, d’une violence inouïe, sont sans ambiguïté. Ou quand l’animatrice d’une radio rock est offerte en pâture comme le produit d’appel d’un site pornographique.
Pourtant, Pierre Bellanger, auditionné par la commission, est formel : « Le rôle de cette libre expression directe radiophonique dans la formation de l’image des femmes est majeur et éminemment positif. L’émission de Difool est, en ce sens, une des émissions les plus féministes qui soient [^3].» Rien que ça. Un conseil, écoutez. Ou quand la haine des femmes est érigée en concept de libre expression.

Malgré le CSA et ses condamnations régulières, Skyrock, comme les autres, continuent à émettre. Mieux, les mises en demeure du CSA divulguées à l’antenne permettent de renforcer ledit « concept » au nom de la lutte pour la liberté d’expression contre les ringards.

Constatant un déficit de communication avec les moins de 25 ans, le Service d’information du gouvernement, dirigé par Thierry Saussez, choisit sans état d’âme, en janvier 2010, Skyrock.com pour combler cette lacune [^4].

Hasard, en octobre 2008, au moment où le rapport sur la place des femmes dans les médias est rendu public, le patron de Skyrock comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour « corruption de mineure », soit, selon le code pénal, « le fait commis par un majeur d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe » . L’affaire traîne depuis 2003. Cette année-là, une jeune femme, mineure au moment des faits, porte plainte pour viol, accusation non retenue par l’instruction. Toute la presse se fera l’écho des pratiques décrites au cours des audiences dans l’appartement baptisé Halcyon, où Pierre Bellanger vit avec trois concubines : « Veillées spirituelles, jeûnes, relations sexuelles parfois multiples. Les “concubines” sont aussi obligées d’écrire un journal intime […] contrôlé régulièrement par le “maître”. Elles sont aussi sanctionnées si elles ne respectent pas les rites : une douche glacée, une exposition nue sur le balcon ou encore des excuses à genoux, toujours dans la nudité [^5]. »

Le 3 novembre 2008, il est condamné à un an de prison ferme et trois avec sursis. Le 5 février 2010, la cour d’appel annulera la prison ferme et retiendra trois ans avec sursis assortis d’une amende de 50 000 euros. Pierre Bellanger est toujours patron de Skyrock [^6].
À l’évidence, mais on le savait déjà, il vaut mieux s’appeler Pierre que Rachid devant la justice française et être une personnalité plutôt qu’un quidam vivant en Seine-Saint-Denis.

« La super extra salope, la salope normale et la ringarde » . C’est en ces trois catégories qu’un article de 2003 du magazine 20 ans classait les pratiques sexuelles supposées de ses lectrices. « Bien entendu, il convient de se retrouver dans la case des salopes pour être moderne [^7]. » Les jeux vidéo ne sont pas en reste. Outre l’ultrasexualisation de toutes les héroïnes, le rapport épingle notamment un jeu américain, GTA4, qui s’adresserait aux plus de 18 ans. Il invite explicitement à forcer les femmes à des actes sexuels non désirés. Malgré son incitation au viol, ce jeu n’a pas été interdit.

Enfin, la pornographie. En juin 2008, dans une enquête réalisée sur 9 600 collégiens, 90 % disent avoir été traumatisés par une image sur le Net [^8]. Selon le bilan du CSA réalisé en 2005 dans le cadre de la protection de la jeunesse, 80 % des garçons et 45 % des filles de 14 à 18 ans ont vu un film X sur le Net.
Quant à la publicité, le bilan dressé par l’Autorité de régulation de publicité en 2007 est accablant : « Atteintes diverses à la décence […], instrumentalisation du corps féminin, “lolitalisation” de très jeunes filles, dans des images qui fleurent la pédophilie, réduction d’un personnage à une fonction d’objet sexuel. »

La soirée « Théma » d’Arte du mercredi 29 septembre qui a diffusé la Cité du mâle [^9] visait à démontrer que la haine des femmes était l’apanage des banlieues et des descendants d’immigrés. La réalité dit l’inverse. Rien de plus partagé dans tous les milieux, y compris au plus haut niveau de l’establishment, que cette haine. « En France, une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son compagnon [^10]. »

[^2]: Sur travail-solidarite.gouv.fr, le texte de l’accord intitulé « Acte d’engagement pour une démarche d’autorégulation visant à améliorer l’image des femmes dans les médias ».

[^3]: « Rapport sur l’image des femmes dans les médias », septembre 2008.

[^4]: Marc-Philippe Daubresse, ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, Thierry Saussez, délégué interministériel à la Communication, et Pierre Bellanger, président de Skyrock, ont lancé le 17 mai Waka, la plateforme Internet destinée aux 15/24 ans. Objectif : communiquer sur les mesures mises en place par les pouvoirs publics et échanger sur des thématiques de la vie quotidienne.

[^5]: lexpress.fr (7 octobre 2008), nouvelobs.com (7 octobre 2008), Libération (13 octobre 2008) : « Sexe, ego et radio ».

[^6]: lepoint.fr (5 février 2010), « Peine allégée pour le patron de Skyrock ».

[^7]: « Rapport sur l’image des femmes dans les médias », op. cit.

[^8]: Enquête menée par la société Calysto, agence spécialisée dans les usages d’Internet et des nouvelles technologies d’information, « Rapport sur l’image des femmes dans les médias », op. cit.

[^9]: Le Front national publie le 6 octobre 2010 sur son site un communiqué de Bruno Gollnisch se félicitant du programme d’Arte du 29 septembre 2010 « Femmes, pourquoi tant de haine ? » : « Violences faites aux femmes : quand les coutumes étrangères deviennent plus fortes que les lois françaises ».

[^10]: 7 juillet 2009, « Rapport d’information sur les violences faites aux femmes », commandé par la commission du même nom de l’Assemblée nationale, présidée par Danielle Bousquet et dont le rapporteur est Guy Geoffroy.

Idées
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